Bhagat Singh, Pourquoi je suis athée, éditions Asymétrie, 2016 (10 €)
Un livre qui nous entraîne vers une région et une période qu’on connaît mal : les luttes de décolonisation dans l’Inde des années 1920 et 1930. Il n’y a pas que Gandhi, beaucoup d’Indiens prennent alors les armes contre l’occupant britannique, et Bhagat Singh est de ceux-là. Il est exécuté à l’âge de 24 ans, après dix années (!) de lutte pour l’indépendance, le socialisme, contre l’exploitation et le système de castes. C’est en prison qu’il rédige cet article contre l’imposture religieuse : on y voit que l’athéisme, la lutte pour l’égalité hommes/femmes et contre les traditions obscurantistes ne sont pas des spécificités occidentales (comme certains veulent nous le faire croire) et que toute lutte d’émancipation est aussi, de fait, une lutte contre la religion (ici l’hindouisme et l’islam). D’autres textes évoquent dans ce livre la situation des militants de gauche, libre-penseurs, athées ou féministes en Inde et au Bangladesh qui, depuis une dizaine d’années, doivent affronter la violence des extrémistes nationalistes et religieux. Le dépaysement c’est pas forcément le paradis… (note : on peut gerber sur le nationalisme « de gauche » et apprécier le bouquin.)
Nunatak n° 1, hiver-printemps 2017 (prix libre)
Une revue écrite par des ours, des marmottes et des chamois en lutte contre l’uniforme, avec la montagne comme point de vue, de vie, de résistance et de réflexion. Ça rime donc avec frontières, passeurs, contrebandiers, bandits, hérétiques, maquisards, refuge, transhumance, et aussi sans-papiers ou lutte contre les lignes THT. Les auteurs, venus de sommets variés, n’ont pas l’air de vouloir sombrer dans l’idéalisation de ce type de territoire, ni d’y rêver un en-dehors salvateur, ce qui est très bien (mais pas simple). Ils y habitent et y luttent, c’est déjà pas mal et si, en plus, ils tentent d’y trouver de quoi « imaginer et concevoir des perspectives radicalement autres », on ne leur en voudra pas, au contraire. La preuve, on conseille la lecture de Nunatak, bien belle « revue d’histoires, cultures et luttes des montagnes ». Deux numéros sont parus, on peut les trouver en PDF sur le blog de la revue : revuenunatak.noblogs.org
Adieu Mandalay,de Midi Z, 2016 (108 min)
Malgré les apparences ce film taïwanais n’est pas un documentaire sur les varans de Komodo. Ça pourrait en être un sur les immigrés clandestins birmans en Thaïlande : comment ils passent la frontière, leur vie quotidienne dans la banlieue de Bangkok (le port du sarong désigne immédiatement le blédard, donc le sans-papiers), et comment ils sont exploités. De ce point de vue c’est simple : soit ils meurent de faims soit ils trouvent du travail (dans des usines aux normes de sécurité vintage) ; les filles pouvant toutefois bénéficier d’une alternative (la prostitution). Le réalisateur semble s’y connaître, son frère, sa sœur et lui ont suivi une route similaire depuis la Birmanie. Sinon c’est aussi une fiction avec une histoire d’amour pas mièvre entre deux sans-papiers, Liangqing et Guo, et ça finit comme vous savez.
Du pain, du vin, du bourrin n° 8, Auvergne, fanzine DIY, printemps 2017, 48 p. (prix libre)
L’ami Ray (coré) remet le couvert avec ce nouveau numéro, d’un fanzine qu’on attend toujours impatiemment de recevoir dans notre boîte aux lettres.
Comme d’habitude, il nous propose des comptes-rendus embrumés aux relents de Finkbräu, Koenigsbier et autres Atlas, de ses tribulations en concerts. On notera particulièrement le désopilant reportage sur « Guerilla Menhir et les Ramoneurs de Poubelles », où deux groupes dont nous tairons les noms en prennent pour leur grade. Comme à l’accoutumée il nous sert également quelques chroniques de disques et cassettes de groupes que nous n’écouterons probablement jamais. À noter cependant que l’auteur nous semble plus sévère que dans les numéros précédents, ce qui donne quelques critiques grinçantes assez amusantes. Enfin, la petite séquence « décryptage » qu’il nous propose d’un micro-trottoir demandant pour le compte d’un titre de presse régionale (La Montagne ?) les espoirs de Monsieur et Madame Tout-le-monde est assez fendard !
Seul petit bémol, le zine de Ray n’est récupérable que par courrier en le contactant à son adresse qu’il ne donne plus car il a assez d’abonnés. Nos plus grands fans saurons où la trouver quand même, mais pour les autres il faudra peut-être attendre de nous croiser autour de notre table de presse pour en récupérer une copie !
Nedjib Sidi Moussa, La Fabrique du Musulman, Libertalia, 2017 (8 €)
Il y a eu des «ouvriers immigrés », des « travailleurs arabes » (Kabyles compris), des « Nord-Africains » et même des « Maghrébins », qui parfois étaient de religion musulmane… mais aujourd’hui il y aurait des Musulmans. Ce livre est un court et vif pamphlet, il n’explique donc pas en profondeur le pourquoi de cette situation (évolution de la société et des rapports de classes en France depuis cinquante ans), mais il l’aborde du point de vue politique : comment durant les quinze dernières années, des militants d’extrême gauche et libertaires, à la recherche d’un sujet révolutionnaire de substitution, ont politiquement contribué à la constitution d’une « communauté musulmane » à laquelle on assigne une population ; comment le prisme identitaire et confessionnel remplace la question sociale et évacue l’exploitation capitaliste ; comment tendent à s’imposer aujourd’hui les concepts d’islamophobie et de « race ». Un bouquin qui tombe à point nommé pour ne pas perdre la tête, à « l’heure où il faut poser avec clarté les termes du débat avant de tous finir enfermés dans les ghettos qu’on aura bien voulu laisser ériger ».