En bref [Spasme n°14]

Notre-Dames-des-Landes : « victoire » ?

Dans notre précédant numéro nous vous faisions part de nos craintes concernant l’avenir non pas de la ZAD mais des expériences subversives qui ont pu s’y dérouler. Nous pointions le fait que les tentations légalistes et citoyennes mèneraient immanquablement à la disparition de ce qui aura pu être intéressant jusque-là. Depuis l’abandon du projet d’aéroport par le gouvernement en janvier, les choses s’accélèrent et nos inquiétudes se vérifient. Toutes les personnes qui étaient là pour lutter contre l’aéroport et son monde se voient priées de rentrer dans le rang. Une coordination qui rassemble l’Acipa, la Confédération Paysanne, des représentants de gauches et des porteurs de « projets d’avenir » sont entrés en négociation avec l’État depuis la « victoire ». L’idée est de régulariser les exploitations agricoles et les projets artisanaux parfois déjà lancés. Des opposants « historiques » se sont même affichés en train de trinquer avec la préfète de Nantes pour entériner le retour du dialogue. La D281, surnommée « route des chicanes », qui coupe la zone du Nord au Sud a quant à elle été débloquée afin de donner des gages de bonne volonté aux autorités. Cela a permis aux gendarmes mobiles de détruire dans la foulée les squats de la partie Est de la zone, là où se concentrait – ô surprise – les plus réfractaires à la négociation. Malgré les apparences, l’ambiance n’est donc pas tant que cela à la conflictualité avec l’État. Les appels à « défendre la ZAD » viennent surtout de ceux qui ont un petit business à développer sur la zone. Parmi eux, signalons des amis du « Comité invisible », ce collectif d’auteurs à succès qui remplie les rayonnages de librairie avec ses appels à l’insurrection. Rassemblé dans un « Comité pour le maintien des occupations », ces partisans du romantisme émeutier se sont très pragmatiquement rangés du côté de ceux qui négocient afin disent-ils de construire des « bases arrières ». Et gare à ceux qui ne suivraient pas nos entrepreneurs en stratégie révolutionnaire. Le bruit court que le CMDO serait impliqué dans une expédition punitive dénoncée fin mars par l’équipe de soutien juridique de la ZAD et qui visait une personne refusant la négociation avec l’État. À l’heure où nous écrivons ces lignes, le gouvernement a vendu la zone au département Loire-Atlantique et une quinzaine de projets ont été régularisés. La lutte semble donc définitivement stérilisée et seuls les affairistes militants et les touristes de gôche qui viendront passer des vacances bios-équitables-engagées auront intérêt à dire et croire le contraire.
Pour en savoir plus sur les conflits internes qui se sont joués sur la ZAD ces dernières années, nous conseillons la lecture de la brochure Le « mouvement » est mort. Vive… ­la ­réforme ! (février 2018), trouvable sur plusieurs sites internet par une simple recherche.

Rien ne se perd tout se transforme

Le street-artist JR a encore une fois montré son talent pour faire du fric sur les dos des pauvres. Avec son compère Ladj Ly, il a co-réalisé fin 2017 la mini-série documentaire The Clichy-Montfermeil Chronicles pour le compte de Blackpills, nouvelle plateforme de vidéo à la demande lancée par Xavier Niel, le PDG de Free. Nécessitant de télécharger l’application ad hoc pour être vue, la série n’était en fait qu’un produit d’appel visant à fidéliser une clientèle pour la plateforme avant l’intégration de publicité et d’une formule payante.
Du côté du contenu, les deux anciens membres du collectif Kourtrajmé, venant surfer sur la médiatisation récente des violences policières en banlieue, n’ont fait que recycler un projet réalisé en 2004. À l’époque, prétendant donner la parole aux « oubliés » de la République, JR et Ladj Ly avaient affiché illégalement dans la cité des Bosquets des portraits géants de ses habitants. Une idée dont le maire de la ville de Paris, Bertrand Delanoë (PS), sut reconnaître l’impertinence puisqu’il leur demanda plus tard de coller les mêmes portraits sur l’Hôtel de Ville de la capitale. Cette fois-ci, les deux artistes se sont filmés en train de réaliser une fresque photographique monumentale dans la même veine et qui a été inaugurée en avril 2017 par François Hollande et le maire Divers Droite de la commune. En 14 ans, si les conditions de vie des habitants des Bosquets n’ont pas l’air de s’être franchement améliorées, nous ne pouvons pas dire la même chose de celles de JR. Au même titre que ses copains « fils de » qui jouaient les lascars dans les films de Kourtrajmé (Mathieu Kassovitz, les frères Cassel, Kim Chapiron, Romain Gavras), l’exploitation de l’univers banlieusard lui a plutôt réussi. Partageant désormais sa vie entre New York et Paris, il est néanmoins resté un artiste engagé : entre un shooting dans les favelas de Rio et une biennale à Hong Kong, il dénonce la guerre, la faim dans le monde et le conflit israélo-palestinien. Concernant Montfermeil, l’histoire ne dit malheureusement pas s’il a vanté aux habitants des barres HLM les bienfaits de la « sobriété heureuse » de son ami Pierre Rabhi ou du vivre ensemble qu’il défend aux côtés d’Agnès Varda…

Erratum

Nous vous parlions avec enthousiasme dans notre n°13 de la création du Collectif des livreurs autonomes de Paris (Clap). Il faut bien avouer que nous nous sommes un peu précipités. Nous avions voulu croire que face à l’économie ubérisée certains avaient décidé d’apporter de nouvelles formes de réponses non seulement défensives, mais aussi révolutionnaires. Malheureusement tel n’est pas le cas avec le Clap et la multitude de petits collectifs similaires qui fleurissent en Europe. On s’y pare volontiers de noir et de rouge en se surnommant les « forçats du bitume », mais leur ambition se limite finalement à devenir des syndicats en bonne et due forme. Ainsi le 1er septembre 2017, le Clap, épaulé par des représentants des fédérations CGT et SUD du Commerce et des Services, expliquait avoir rencontré la direction de Deliveroo pour exiger « la reconnaissance de [leur] droit à la négociation collective dans l’entreprise ». Les grèves menées jusque-là par les livreurs, au-delà de revendications immédiates liées aux conditions de travail, sont donc vues comme un moyen pour le Clap d’ouvrir le « dialogue social », autrement dit de participer avec les patrons à la co-gestion de l’exploitation. Et comme si cela ne suffisait pas, nous avons noté que le collectif fait par ailleurs la promotion de coopératives de coursiers récemment crées. Au modèle de l’entreprise sans employés (car tous auto-entrepreneurs) dont rêve le monde des start-up, nos néo-syndicalistes rêvent d’entreprises sans patrons (car tout le monde le serait). À croire que l’exploitation et la concurrence sont plus douces quand elles sont auto-gérées… Pendant ce temps, les Shadoks ne se demandent toujours pas pourquoi ils pompent et les livreurs n’ont pas fini de pédaler.

Réussite du 1er forum ultra-non-mixte !

Organisé en pleine période des partiels, l’événement ne manquait pas d’audace. Le 4 juin dernier s’est tenu dans les locaux de Paris 8 un forum réservé aux chargées de TD trans, afrodescendantes et en situation de polyhandicap. « C’est un premier pas, il faut maintenant redoubler les efforts de communication sur les réseaux sociaux » précise Charlotte Dupont-Rio-Wurtz, présidente et unique membre du collectif Vivre l’intersection radicale à l’initiative de l’action. Durant cet événement qui n’a finalement duré qu’une après-midi, la jeune doctorante en sociologie, seule personne présente, a animé avec elle-même une discussion intitulée « Être le sujet révolutionnaire, un combat quotidien ». « J’ai vraiment senti la parole se libérer » nous explique-t-elle. Grâce à l’écho médiatique qu’a suscité le forum, le collectif pourrait bientôt s’agrandir : « Une personne de Charente m’a contactée, elle partage les mêmes oppressions ». La jeune militante qui est aussi vegan reste néanmoins prudente : « J’ai passé au peigne fin son compte Facebook, et je crains qu’elle ne soit carniste ». Affaire à suivre.

Charlotte Dupont-Rio-Wurtz , au carrefour des oppressions.

EN BREF AVIGNON

From Helle

Dans son édition du 2 février 2018, le journal La Provence annonçait le report à 2037 au plus tôt du projet de Liaison Est-Ouest (LEO). La Ministre des Transports a en effet considéré que les travaux de finalisation de cette voie rapide visant à désengorger la rocade d’Avignon n’étaient plus prioritaires. Présentée par les élus locaux comme une initiative sociale visant à préserver les poumons et les oreilles des habitants des HLM en bordure de la rocade, cette route détruirait aussi une partie des terres agricoles en périphérie d’Avignon. Loin de nier ce que subissent les riverains, et sans idéaliser un « authentique » monde paysan, nous ne pouvons que nous réjouir de ce sursis. L’argument selon lequel il faudrait construire plus de routes pour réduire les nuisances liées aux voitures, nous semble en effet peu convaincant. En revanche, face à cet énième contre-temps, les élus tiraient la gueule, notamment Cécile Helle, maire socialiste d’Avignon, qui déplorait : « Une fois de plus, comme à Notre-Dame-des-Landes, l’État revient sur ses engagements, c’est incompréhensible. »

Les arbres illégaux seront abattus !

On achève bien les chevaux, pourquoi pas les arbres, surtout lorsqu’ils sont vieux et tordus ! Telle est, en matière d’espaces verts, la doctrine de l’équipe municipale d’Avignon qui est au pouvoir depuis 2014, une coalition de la gauche qui, bien qu’amalgamant socialistes, écolos, communistes sait être cool et moderne.
La traque aux arbres d’occasion qui encombrent la voirie est depuis menée sans répit, et la capture systématiquement suivie d’un abattage quasi rituel. Cruauté diront certains ? Que nenni ! Salubrité publique ! Les arbres en question ne répondent en effet pas aux normes édictées par la Commission européenne (en particulier les directives E-453-FL et E-461-FB sur la couleur et la texture des écorces), on les repère aisément à leur aspect esthétique fort désagréable : tordus ou penchés, poussant là on ne sait trop pourquoi, s’attaquant même parfois à la rectitude de la chaussée… ça la fout mal, surtout pour l’image de la ville auprès des touristes chinois. Les travaux pharaoniques lancés afin de soutenir le commerce et le tourisme en centre-ville (« rénovation » de rues et places, Tram, etc.) montrent que la ville a opté pour une minéralisation croissante ; ils sont le prétexte à une impitoyable chasse aux arbres* (Cours Jean-Jaures, St-Ruf, place Saint-Didier, Verger Urbain V, etc.). Certains des arbres abattus ont toutefois été remplacés par des arbres neufs et bios répondant parfaitement aux normes en vigueur ; ils sont tous équipés d’un QR code ainsi que d’une puce RFID permettant de les géolocaliser en temps réel et donc d’éviter les fraudes, évasions ou vols (une opération réalisée sous le contrôle de l’INRA). À ces concitoyens peu au fait de l’histoire des idées politiques en Europe au XXe siècle, l’équipe municipale rappelle que l’écologie peut faire bon ménage avec le progrès, l’ordre et la discipline !

* On aurait envie d’utiliser l’apparent pléonasme « arbres sauvages » alors que, tout comme leurs condisciples des forêts, ils ne sont que des constructions sociales. La nature ça n’existe pas. On peut d’ailleurs se demander si les oiseaux qui y nichent ne sont pas des sortes de drones primitifs (appelés à être remplacés par des modèles qui ne nous chient pas dessus).

Dans Saint-Ruf, l’offensive des légumes

Nous parlions dans notre précédente édition des projets de gentrification du quartier Saint-Ruf. La préparation d’artillerie (travaux du tram) n’est même pas terminée que l’assaut est lancé ! Évoquée comme une possibilité théorique, l’épicerie-cantine bio de gauche a réellement fait irruption au n° 26 de l’avenue. Trois femmes déjà partie prenante dans plusieurs restaurants sur Avignon ont donc ouvert une « épicerie bio et paysanne » portant le nom de « Youpi ! Des Broccolis ». Elles décrivent leur projet comme « atypique, un peu à l’image de ce qui peut se faire à Paris », « un peu comme une maison commune ! ». On ne sait pour l’instant pas si, une fois que le tram sera terminé et que les pauvres seront expulsés, la thune qu’elles vont se faire sera commune elle-aussi ? En février la mairie a offert à ce resto deux pages de publicités gratuites dans le magazine municipal pour encourager leur noble contribution à la gentrification (déjà on remarque que les loyers flambent dans le quartier).
Les patronnes sont aussi liées à Yapuca, une association créé en 2017 pour promouvoir les « potagers collectifs dans les espaces public » et la démocratie participative (ouvertement inspirée du pitoyable film Demain). Dans le cadre du budget participatif de la mairie d’Avignon 2017 visant à impliquer les habitants dans « l’aménagement et de l’avenir de leur ville » le projet de cette association a été retenu : la mise en place dans des parcs municipaux de la ville de cinq « petits potagers collectifs », gratuits et gérés par les habitants eux-mêmes… trop mignon. L’association ayant déjà fait un test dans le parc de Champfleury, les responsables expliquaient en septembre dernier (encore une fois dans les colonnes du journal municipal) que c’était « une vraie réussite », d’autant que cela n’avait nécessité qu’« une petite centaine d’euros ». Néanmoins, avec un budget demandé et alloué de 54 000 € , on se dit que les responsables de l’association vont pouvoir en acheter des râteaux et des graines !

Drôle de grève

Au début du mois de février 2018 les éboueurs du Grand Avignon, la communauté d’agglomérations d’Avignon et alentours, ont fait grève pendant 13 jours. Axée contre la suppression de primes de fin d’année et des disparités de salaires entre agents, leur lutte a apporté son lot de surprises. En effet, appelés à la mobilisation par le syndicat CFTC, une confédération pas franchement connu pour ce genre d’initiative, les grévistes se sont frottés à une belle union de circonstance entre des élus de gauche, la CGT et les petits commerçants. Dès le deuxième jour de grève, la charge était sonnée par Jacques Demanse, vice-président en charge des déchets et maire de la commune de Sauveterre. L’élu PCF, connu également pour son vote en 2015 en faveur du maire FN du Pontet à la vice-présidence du Grand Avignon, a menacé les grévistes de privatiser la collecte des déchets s’ils s’entêtaient. Quelques jours après, le 8 février, c’est la fédérations des services publics CGT Grand Avignon qui s’opposait fermement au mouvement. Dans un communiqué collector initialement diffusé sur le compte Twitter du Grand Avignon (donc du patron !), elle fustigeait le syndicat concurrent pour des « comportements peu élégants et irrespectueux à l’encontre des agents qui défendent leur droit à travailler ». Arguant, photo de fiches de paie à l’appui, que les éboueurs feraient partie « des agents territoriaux les mieux payés de France », la CGT dénonçait « une action inutile qui détruit l’image du service publique » et terminait en accusant ses adversaires de faire « le jeu du système ». Le lendemain, c’était au tour des poujadistes de la fédération des commerçants de manifester leur mécontentement en allant déverser leurs ordures devant le siège de la CFTC.
Malheureusement, les grévistes n’avaient visiblement pas anticipés que le petit chef CFTC allait de son côté leur faire à l’envers un jour ou l’autre. La grève s’est donc terminée le 13 février sans obtenir de concessions significatives de la part de l’employeur, mais avec la promesse du délégué syndical que les éboueurs mettraient les bouchées doubles pour ramasser les monceaux de déchets qui s’étaient accumulés en ville. ­Espérons que cet épisode avignonnais de la lutte des classes aura au moins permis aux gréviste de voir quel est le vrai rôle des « camarades » de gauche et des syndicats !

Antifascisme / Stalingrad provençal

Le local du FN situé avenue des Sources a enfin disparu ; il est désormais remplacé par un local du Refuge, association qui apporte de l’aide aux jeunes en galère face à l’homophobie. Comme quoi, la lutte ça paye ! Non ?

Antifascisme / … à cache-cache ?

Les « antifa » avignonnais sont toujours à l’affût, prêts à débusquer la bête immonde dès qu’elle pointe un orteil crochu… En mars dernier les fachos ne se cachaient pourtant pas beaucoup, ni bien loin. Lors de la manif intersyndicale contre Macron du 22 mars, ils étaient tout au fond, avec sept à huit militants, des tracts et une grande banderole : l’UPR, orga conspirationniste, réac et souverainiste créée par le bras droit de Charles Pasqua.
Ce jour là les militants de ce groupuscule étaient présents dans les cortèges de diverses villes. A plusieurs endroits des anars ou la CGT les ont physiquement empêché de rejoindre la manif. A Marseille ils se sont fait claquer la gueule. A Avignon… ils étaient tranquillement en queue du gros bloc flou comprenant PCF, France « insoumise » et NPA. Peut-être est-ce la convergence des luttes ? Faudra-t-il prochainement accepter « les Patriotes » de Florian Philippot ?

Pas de demi-mesure du côté des totos marseillais…