Merci au Tampographe qui nous a autorisé à utiliser les photos de son site pour illustrer l’interview.
Artiste qui n’aime pas les artistes, Vincent Sardon, alias Le Tampographe nous a immédiatement tapé dans l’œil avec ses tampons. Ses réalisations tirent à peu près sur tout ce qui bouge, à notre plus grande joie. Spasme ! souhaitait vous faire découvrir son travail, il a accepté de répondre à quelques unes de nos questions.
Spasme ! : Tu expliques sur ton blog que tu t’es lassé du dessin humoristique pour la presse, mais qu’est-ce qui t’a amené au tampon ?
Le Tampographe : C’est mon goût pour la gravure. Quand j’étais étudiant, je suis allé prendre des cours dans un atelier de gravure, aux Beaux-Arts de Bordeaux. J’ai un peu travaillé l’eau-forte, le vernis mou et autres aquatintes, ça ne m’a pas emballé du tout, je trouvais qu’il y avait là dedans beaucoup de complications techniques, de superstitions, de chichis en matière de papier et d’encre, voire un discours
ésotérique sur l’influence des astres dans le temps de morsure de l’acide chlorhydrique. À l’époque j’étais très influencé par les quelques trucs expressionnistes que j’avais pu voir à droite à gauche. La gravure sur bois et surtout le linoléum n’étaient pas regardés comme de la vraie gravure par les professeurs, qui ne juraient que par la gravure sur cuivre. Quand j’ai terminé mes études j’ai commencé à graver du lino, mais comme je n’avais pas de presse et que j’étais trop fauché pour en acheter une, j’ai trouvé pratique de graver des gommes, avec les mêmes gouges que j’utilisais pour le lino. J’ai fait mes premiers tampons comme ça.
S : Dans une vidéo on te voit fabriquer tes tampons de manière artisanale. Qu’est-ce qui te plaît dans ce processus ?
T : J’aime bien travailler de mes mains. Les procédés chimiques que je dois mettre en oeuvre pour obtenir les moules dans lesquels je cuis le caoutchouc sont intéressants parce que capricieux et imprévisibles. Mais je ne peux pas dire que la technique me passionne, ça n’est qu’un moyen de concrétiser mes idées.
S : L’humour noir et la provocation sont fréquents dans ton travail. En ajoutant à cela la fabrication « Do It Yourself », le résultat peut avoir un côté punk… Es-tu d’accord avec cette perception de ce que tu fais ?
T : Le punk fait partie du jus de poubelle qui constitue le fond de ma culture. Pas tellement visuellement, d’ailleurs. Le graphisme punk, Bazooka par exemple, je connais pas plus que ça, j’ai tendance à m’en foutre. J’étais un peu jeune quand le Punk a émergé, j’avais 6 ans, j’aimais bien Annie Cordy et Carlos. J’ai découvert ça plus tard, dans les années 80, c’était déjà fini, ça s’était transmuté en new-wave pénible. J’écoutais en boucle deux ou trois compilations dupliquées sur des cassettes par des amis qui avaient acheté des disques à la fnac de Bordeaux. Le premier 33 tours que j’ai acheté à l’époque, c’était Bedtime for Democraty, des Dead Kennedys. Il y avait une sorte de fanzine inséré là-dedans, qui s’appelait Fuck Facts. Je trouvais ça formidable, je l’ai gardé, il est encore aujourd’hui épinglé au mur de mon atelier, il tombe en lambeaux.
Les groupes alternatifs de la fin des années 80, je trouvais ça un peu chiant. Un genre de punk pour les neuneus, avec des paroles débiles et un discours politique en carton bouilli. Par contre, le principe des labels indépendants qui produisaient ces groupes a fait tâche d’huile et a conduit à ce qu’émergent dans la bande dessinée des structures éditoriales conduites par les auteurs. Ça a permis de donner un grand coup de pied au cul des maisons d’édition en place et de faire entrer de l’air frais dans cet univers qui puait le rance.
Le côté “Do it yourself”, c’est indispensable si on veut essayer de rester libre. Il faut contrôler autant que possible toute la chaîne de production et de diffusion, sinon on finit par travailler en fonction de ce que pensent des commerciaux et c’est la mort assurée à plus ou moins court terme.
S : Le coup de tampon renvoie à quelque chose de strict, définitif, mais aussi
renouvelable à l’infini. Cela me fait penser au pochoir dans le graffiti. Il s’agit souvent d’images ou de textes radicaux (autant le sujet que la nécessité de pousser le contraste à fond) et que l’on peut répéter autant que l’on veut. Que penses-tu de ce lien que l’on peut faire entre ces deux pratiques ? Tamponnes-tu dans les lieux publics ?
T : Je ne tamponne pas dans des lieux publics, ce qui m’intéresse c’est de concevoir mes tampons, pas tellement leur usage. Il y a en effet des points communs entre le pochoir et le tampon, c’est un genre de dessin pré-contraint. Dans un autre registre je m’intéresse aussi aux normographes, j’ai un projet de fabrication qui va dans ce sens. Le pochoir c’est à l’étude, je me suis équipé d’une graveuse laser qui permet de faire des découpes très compliquées sur du carton fort, et de les produire en petite série.
S : Originaire du Pays-Basque, tu as réalisé un ensemble de tampons représentant un affrontement entre indépendantistes et gardes mobiles dans les rues du Petit Bayonne. Quelle est ta relation avec le Pays Basque ?
T : Quasi nulle aujourd’hui, je n’y passe plus que très rarement. Je suis attaché à ma ville natale, comme tout le monde, mais je ne m’imagine pas une seconde retourner y vivre.
Le tampon en question c’est un souvenir d’enfance. Je voulais faire un tampon qui permette de représenter une rue de Bayonne, le côté biscornu et branlant des immeubles s’y prête bien. J’ai dessiné de mémoire, sans photo, et la manifestation nationaliste est venue d’elle-même, après que j’aie dessiné les colombages et les arceaux.
S : Sans rapport avec la question précédente, chez Spasme ! On aime la fraude. T’es-tu déjà amusé à copier des tampons administratifs (je ne parle pas de tes parodies, mais bien de copies exactes).
T : L’usage de faux est puni de cinq ans d’emprisonnement et de 40.000 euros d’amende, donc non, pas de fraude.
S : Niveau matériel tu sembles bien équipé. Quels outils devrait se procurer en premier un apprenti tampographe ? Donnes-tu des « cours » de fabrication dans ton atelier ?
T : Qu’il se démerde.
S : On a vu différents types de tampons : des tampons avec des slogans, des copies d’œuvres connues, des ensembles qui fonctionnent par coffrets, etc… Que prépares-tu à l’avenir ?
T : J’en sais rien, je fonctionne avec une visibilité de quatre semaines. Pour le moment je refais mon atelier.
Propos recueilli par M.
Le Tampographe fait des tampons vous l’avez compris, mais il tient aussi un blog et celui-ci vaut le détour. C’est complètement fouillis et c’est cela qui en fait le charme. Outre la présentation de ses nouvelles productions vous trouverez des billets corrosifs sur des sujets variés allant des salons du livre où il est parfois invité, à la vie des rats dans son atelier, en passant par la présentation de sa cousine pratiquant le levé de bite (discipline de la force basque…). Vous tomberez sur des safaris-photos à la recherche des plus belles barbes de syndicalistes lors du 1er mai ou encore un relevé des noms ridicules figurant sur les tombes du Père Lachaise. Mention spéciale pour l’un de ses derniers articles où il raconte avoir vu un “soupeur” dans les rues de Paris. Je vous laisse chercher ce que c’est par vous-même, afin que vous puissiez en savourer pleinement (si je puis dire) la définition…
Pour aller zyeuter tout ça c’est sur : http://le-tampographe-sardon.blogspot.fr
Boutique en ligne : http://letampographe.bigcartel.com/