« S(h)kate Me », une autre vision de la ville.

Cédric Crouzy, alias Patate, la trentaine, skate depuis un bon moment maintenant. Quand il n’est pas sur sa planche il vadrouille dans sa ville, Nîmes, un seau de colle dans une main et des affiches qu’il a réalisées dans l’autre. Autant dire qu’il consacre à la rue une bonne partie de son temps. Ses tribulations l’ont amené à s’intéresser à l’espace urbain et à son aménagement. Il nous livre ses réflexions dans un petit film Sk(h)ate Me* réalisé en 2012. Malgré l’apparition récente en début de vidéo d’un sponsor qui nous semble plutôt en contradiction avec le discours tenu,  nous avons tout de même souhaité en discuter avec lui.

Spasme ! : Comment t’est venue l’idée de faire ce film ?

Patate : Au début j’ai des potes qui me filmaient en train de faire du collage [d’affiches artistiques] pour faire des petites vidéos. En y réfléchissant je me suis dit qu’il y avait beaucoup plus à montrer dans la ville. J’ai donc pensé lier l’art urbain au skate car, à mon sens, c’est aussi de l’art urbain.

S! : En quoi notre vision de la ville devient-elle différente lorsqu’on pratique les sports de glisse urbaine ?

P. : Nous n’avons pas la même vision de l’espace urbain qu’un piéton. Quand on voit un banc on ne pense pas seulement qu’on peut s’asseoir dessus et se reposer. On le voit plutôt comme un support qui va pouvoir supporter nos différents assauts. On va essayer de créer avec le mobilier urbain. C’est vraiment de création qu’il s’agit. L’intérêt du skate c’est que cela donne une autre dimension à la ville.

S! : Dans ton film cette vision prend une dimension politique puisqu’elle interroge les intentions dissimulées ou non derrière l’urbanisme…

P. : Ouais carrément. Tout est super codifié dans la ville. Pour traverser une rue il faut passer sur le passage piéton, il y a les feux rouges et toutes les signalisations… Ça part d’une bonne volonté, c’est pour permettre de faire vivre tout le monde dans des espaces circonscrits et d’arriver à vivre ensemble dans une pseudo-organisation. Sauf que voilà, ça limite la liberté d’action. Si tu sors des clous tu peux te prendre des réprimandes. Ça restreint le champ d’action du citoyen. Le skater ou celui qui pratique l’art urbain, il se joue un peu de ces règles. Il n’en tient pas compte ou peu, et prône donc la liberté d’expression et surtout d’action. Après c’est comme tout, il faut trouver un juste milieu pour qu’on parvienne à vivre ensemble. Mais ça montre justement le non-sens de la ville. Vivre avec une telle densité sur un espace aussi réduit, c’est ridicule.

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S! : Justement, tu critiques dans le film « le béton de merde ».  Pourtant sans ce béton il n’y a pas de terrain de jeu pour les skaters ou les artistes de rue, est-ce que ça n’est pas paradoxal ?

P. : Si complètement, mais j’en suis arrivé à penser que la vie est un paradoxe et que tout est un peu en constante opposition. Tout est non-sens. Mais c’est le béton qui m’a fait devenir skater, je n’ai pas recherché le béton parce que je faisais du skate à la base. Je me serais plutôt vu rester à jouer dans la nature, mais le fait est que j’ai grandi dans la ville comme beaucoup d’entre nous maintenant.

S! : Une grande partie du film est faite à partir de citations d’un livre, « La conjonction interdite, notes sur le skateboard » de Raphaël Zarka. Que peux-tu nous dire sur ce livre ?

P. : Quand je l’ai lu, j’ai halluciné parce que c’est la première fois que quelqu’un arrivait à mettre des mots sur les raisons pour lesquelles je skate. C’est vrai qu’étant plus jeune je n’avais jamais réfléchi à « pourquoi je skatais », à ce qui me motivait à aller skater et à ce qui me procurait du plaisir là-dedans. Quand j’ai cherché à parler d’art urbain et de détournement du mobilier urbain je me suis rendu compte grâce à ce livre que cela a un lien très étroit avec la pratique du skate dans la ville. Ensuite, Raphaël Zarka avait dit tout ce que je voulais dire et d’une très belle manière, je lui ai donc demandé d’utiliser des extraits de son livre et de collaborer à ce film. Il a été d’accord.
Le plus drôle c’est qu’il est originaire de Nîmes ! À un moment donné, il parle de la place d’Assas à Nîmes parce qu’il y a skaté aussi. Je ne le savais pas avant de lui proposer ça et je crois que le film l’a beaucoup touché.

vlcsnap-2015-01-18-00h52m07s173S! : Une citation du livre critique la transformation de l’espace public en espace commercial. Le skate est pourtant un business assez important, comme le street art. J’ai aussi remarqué qu’au début de ton film figure comme sponsor la marque Etnies (grosse marque de chaussures et habits de skate, ndlr)…

P. : Par rapport au sponsor, Etnies c’est une marque de shoes qui me file des chaussures depuis que j’essaie de sortir le documentaire. C’est un peu grâce à elle que j’ai pu me consacrer à faire un film comme ça. Comme je skate beaucoup, j’use beaucoup de chaussures. Le fait de ne pas avoir à en acheter me permet dans une certaine mesure de moins travailler pour m’en payer. Ce temps gagné me permet de me consacrer à des projets comme celui-ci ou alors d’aller coller dans la rue, ce qui ne me rapporte strictement rien.

S! : Pour terminer, on a adoré la chanson Super Skate de Rika Zaraï ! Où as-tu déniché cet ovni ?

P. : Elle est sur le blog du magazine de skate Soma. Un jour ils l’ont postée et je l’avais mise de côté. En faisant le montage, je me suis dit : « Putain, faut vraiment que je l’utilise ! ». ■

Propos recueillis par M.