Rendez-vous en terre inconnue

J’veux du soleil ! est un road-­movie de Gilles Peret et Ruffin autour de… Ruffin et dans lequel des Gilets jaunes déballent leurs vies. Sous le couvert de témoignages sincèrement poignants, le film livre une session de racolage passif au profit du député de la Somme, à l’image de sa déclaration finale : « Si j’étais Macron [je vous dirais que] moi, président de la République, je vais me bagarrer pour que vous y ayez droit, [au] bonheur ».
C’est aussi un film qui s’inscrit dans un combat douteux contre « l’oligarchie » au nom du « peuple au bon sens ». Ainsi, dans les extraits de témoignage choisis, il y a celui du jeune travailleur qui dit ne pas manger à sa faim mais avoir « un bon patron  » (qui lui donne une pizza gratuite par semaine), ou encore celui de cette femme qui ne rechigne pas à « faire des heures pas payées ». Par son absence de profondeur, le film en arrive à utiliser ces constats de misère sociale pour ne pas interroger le rapport d’exploitation capitaliste.
En outre, toutes les questions dérangeantes que peut poser ce mouvement sont sciemment ignorées. On le devine au détour d’une phrase du député France insoumise : « à dire des gens qu’ils sont fachos, ils le deviennent ». Comme si ne pas nommer les choses revenait à les faire disparaître, comme si un mouvement authentiquement populaire était nécessairement émancipateur. Les auteurs sont alors d’une complaisance toute populiste à l’égard d’un mouvement qui peut se réclamer apolitique et de l’ambiguïté de témoignages exprimant la fierté retrouvée d’être le peuple « français ». Jouant sur l’émoi (légitime) provoqué par des situations difficiles, ils dissimulent mal des intentions propagandistes nous resservant la bonne vieille recette « travail, famille, patrie ». À prendre avec d’extrêmes précautions, c’est (ou presque) du Ruffin tout craché.

Kenny