Un réel rapport de force, des syndicats à la remorque, des patrons flippés…
Le premier gouvernement de gauche à devoir gérer un mouvement social d’ampleur (une grève générale) a été le Front populaire de Léon Blum & Co, la coalition de gauche victorieuse des élections législatives de mai 1936. Les grèves éclatent on ne sait trop pourquoi mais se propagent à une vitesse incroyable ; elles touchent deux millions de travailleurs en juin avec, c’est alors une première, des milliers d’occupations d’usines… Les syndicats, ultra minoritaires, n’y sont pour rien. Les revendications partent dans tous les sens, dépassant largement le tiède programme du Front Populaire. L’ambiance est calme sinon bon enfant, mais les bourgeois ont peur que plus rien n’arrêtent les prolos. Il faut se rendre compte qu’on est alors à peine une quinzaine d’années après la vague révolutionnaire qui a fait s’effondrer l’Empire russe et a ébranlé l’Allemagne, la Hongrie et l’Italie. L’investiture du socialiste Blum rassure car il a toute la confiance des grévistes ; il déclarera par la suite : « dans la bourgeoisie, et en particulier dans le monde patronal, on me considérait, on m’attendait, on m’espérait comme un sauveur… » Les cours de la Bourse remontent donc.
Le MEDEF de l’époque demande aussitôt au gouvernement d’organiser des négociations en y associant la CGT. Pendant plusieurs jours les représentants des trois partis (État, patronat, CGT) se creusent la tête pour faire cesser le mouvement. Côté patrons on est prêt à tout pour récupérer les usines et on multiplie les propositions (certaines paraissent alors un peu « fantasques » comme ces étranges congés payés qui ne font partie ni des revendications ni du programme du Front populaire). Cela suffira-t-il ? Les CGTistes font alors malicieusement remarquer que depuis des années on fait dans les usines la chasse à leurs représentants… et qu’aujourd’hui « ils n’y sont plus pour exercer sur leurs camarades l’autorité qui serait nécessaire pour exécuter nos ordres ». Les représentants patronaux reconnaissent leur erreur, d’autant que malgré les efforts du PCF (Thorez et son fameux « Il faut savoir terminer une grève »), de la CGT et de leurs journaux (L’Humanité en tête), les ouvriers restent ingérables et en demandent plus à chaque nouvelle annonce.
Au même moment et pour le cas où les ouvriers s’entêteraient, le ministre de l’Intérieur socialiste Roger Salengro masse autour de Paris des unités de gardes mobiles (à côté desquels nos actuels CRS passeraient pour de gentils gardiens de square). Mais le patronat, craignant pour son matériel, s’oppose à l’usage de la force et préfère aligner les concessions (d’autant que les « avantages acquis » comme les augmentations de salaires pourront être vites récupérés et que d’autres, comme les congés payés ou la réduction du temps de travail, permettront d’augmenter la productivité). L’ordre sera rétabli et le travail reprendra progressivement… avec les premières vacances.
Autre proposition du patronat qui figurera dans les beaux Accords Matignon : le principe des délégués ouvriers dans les entreprises qui consacrent le syndicalisme dans sa fonction sociale de gestion des rapports sociaux, partenaire incontournable. Juin 36 est généralement considéré comme une grande victoire de la classe ouvrière, elle est surtout une grande victoire du syndicalisme. Nuance.
C.
Biblio pour aller plus loin
Juin 1936 – Le Front populaire au secours du capitalisme français, sur infokiosques.net:
https://www.infokiosques.net/spip.php?article95
« 1936 : le Front populaire contre les occupations d’usines », Courant alternatif, n° 261, juin 2016, p. 30-33.
http://oclibertaire.lautre.net/upl/CA261.pdf
« Quand un socialo… mange le morceau. La Tâche historique de la social-démocratie face au mouvement de 1936 », Le Monde libertaire, HS n° 7, juillet 1997.
http://ml.ficedl.info/spip.php?article3348
« Juin 1936 : L’usine occupe l’ouvrier » Extraits de la plaidoirie de Léon Blum au procès de Riom (1942).
http://www.collectif-smolny.org/imprimer.php3?id_article=2139
Léon Blum devant la Cour de Riom, Paris, Editions de la Liberté, 1944, 202 p. (introuvable mais si vous le trouvez bravo !).