Ukraine : impérialisme, nationalisme et fantômes des années 40. (2/2)

Dans notre première partie (voir Spasme ! #6) nous revenions sur l’histoire de l’Ukraine au cours du XXème siècle et notamment ses relations avec la Russie. La crise que connaît cette zone du monde est relativement compliquée à comprendre vue de France. Nos discussions avec Katia, jeune Ukrainienne vivant en France depuis plusieurs années, croisées avec les différents témoignages qui nous sont parvenus sur Internet de la place Maïdan à Kiev ainsi que de l’Est du pays nous aident à essayer d’avoir une vision globale de la situation. Dans ce contexte proche de la guerre civile où les nationalismes ukrainien et russe sont exacerbés, il est inutile de chercher le camp des bons et celui des méchants. En revanche on notera que les première victimes, comme bien souvent sont la population et en particulier les minorités.

Le début du soulèvement

Viktor Ianoukovytch, aujourd’hui destitué, était Président de l’Ukraine depuis 2010. Membre du Parti des Régions qui s’affiche pro-russe et remporte habituellement plus de succès à l’Est du pays, il chercha cependant à se rapprocher de l’Union Européenne dès le début de son mandat.
Dans un même temps il a cherché a se débarrasser de son opposante, la Premier Ministre Ioulia Timochenko. Il parvint finalement en 2011 à la faire emprisonner pour des faits de corruption, ce qui a fait grand bruit en Europe de l’Ouest qui soutenait Timochenko.

Si les méthodes de Ianoukovytch prirent une tournure autoritaire, il est bon de ne pas tomber pour autant dans le piège de la propagande pro-Timochenko que les médias occidentaux  nous ont servie à l’époque. En observant sa biographie on constatera qu’à la fin des années 90, Timochenko a bâti une fortune de plusieurs milliards de dollars en faisant des affaires de façon louche avec le gazier russe Gazprom.
Néanmoins, L’UE soutenant Timochenko, l’une des conditions préalables à tout partenariat était sa libération ainsi que celle de ses alliés.
La Russie de son côté ne voyait pas d’un bon œil le rapprochement possible entre l’Ukraine et l’Europe, elle alterna donc menaces économiques envers Kiev et propositions de tarifs préférentiels sur le gaz.

Le 21 novembre 2013, le pouvoir ukrainien refusait finalement l’extradition en Allemagne de Timochenko pour raison de santé et annonçait son rapprochement avec la Russie. S’ensuivirent alors les premières manifestations. Menées par les partis d’opposition pro-Europe qui soutiennent Timochenko, le mouvement a rapidement pris une autre tournure face à la répression exercée par le pouvoir.

Durcissement du mouvement et virage nationaliste.

Le 30 novembre 2013, la police anti-émeute délogeait les manifestants qui occupaient la place Maïdan au centre de Kiev. La violence des forces de l’ordre a provoqué un durcissement du mouvement et les mots d’ordre pro-Europe ont été supplantés par un ras-le-bol de la corruption généralisée au sein de la classe politique du pays, mais aussi par un sentiment nationaliste fort en réaction à la pression du voisin Russe.

Svoboda (“Liberté” en ukrainien, anciennement Parti Social-Nationaliste d’Ukraine, retournez le nom et vos doutes s’estomperont…), le principal parti d’extrême-droite ukrainien, s’est donc offert une visibilité de plus en plus importante au sein des manifestations au point que son leader Oleh Tyahnybok faisait partie du trio d’opposants que l’on a souvent vu dans la presse avec Vitali Klichtko et Arseni Iatseniouk (tout deux classés comme de droite libérale). Il suffit de voir les nombreuses photos des manifestations pour voir parmi les quelques drapeaux Européens des premiers temps de très nombreux drapeaux ukrainiens ainsi que ceux de ce parti. Nous pouvions remarquer également beaucoup de drapeaux rouge et noir qui dans un premier temps ont pu créer de faux espoirs chez les militants anarchistes occidentaux. En effet, si les couleurs sont les mêmes que celles de l’étendard anarcho-syndicaliste, leur disposition horizontale au lieu de diagonale renvoie aux organisations d’extrême-droite les plus radicales telle que le sinistre Pravy Sektor (Secteur Droit). C’est notamment elles qui organisèrent avec Svoboda, durant les manifestations de Maïdan, une marche en hommage à Stepan Bandera, leader nationaliste ukrainien  ayant collaboré de manière opportuniste avec les nazis face à l’URSS durant la Seconde Guerre Mondiale (voir Spasme ! #6).

Cependant, d’après Katia la majorité des manifestants n’étaient pas des néo-nazis. Plusieurs témoignages viennent confirmer qu’ils n’étaient pas les plus nombreux mais font en revanche partie des plus actifs dans les affrontements avec la police. Élément encore plus étonnant (la prudence est de mise), des manifestants juifs1 ont quant à eux déclaré dans des interviews ne pas se sentir plus menacés que ça par les néo-nazis.
Bien qu’on puisse entendre que les manifestants étaient loin d’être tous des néo-nazis (contrairement à ce que prétend Poutine), nous remarquerons qu’il semblait y avoir de manière générale un très fort sentiment nationaliste et une grande tolérance envers l’extrême-droite dans les rassemblements de la place Maïdan.

Nazis VS URSS : idéologie, mais aussi surtout des symboles ?

Comme nous l’observions dans notre numéro précédent, les relations entre l’Ukraine et la Russie durant le XXème siècle furent pour le moins houleuses. Malgré la Révolution de 1917 et la volonté d’indépendance de l’Ukraine, les bolcheviques, qui prirent la tête de la Russie, ont continué à considérer leur voisin comme une sorte de vassal, s’en servant comme une zone tampon lors des deux guerres mondiales ou en la privant de ses maigres récoltes en 1933 (ce qui causa entre 2 et 5 millions de morts).
Si longtemps en Europe de l’Ouest le communisme façon URSS a été un idéal pour beaucoup de gens préférant garder des œillères, les pays y ayant goûté ont vite compris ce qu’était l’impérialisme soviétique.
C’est donc presque mécaniquement qu’un sentiment anti-bolchévique et anti-Russie s’est créé chez une part de la population et donna notamment naissance a un parti comme l’OUN-B de Stepan Bandera qui collabora avec les nazis avant d’en subir les attaques. Notons qu’encore à l’heure actuelle le Parti Communiste Ukrainien est pro-russe et a soutenu Ianoukovytch dans sa répression à l’égard des manifestants.

Manifestants affrontant la police sur la place Maidan à Kiev, avec parmi eux des néo-nazis. (photo SERGEI SUPINSKY/AFP)

Manifestants affrontant la police sur la place Maidan à Kiev, avec parmi eux des néo-nazis. (photo SERGEI SUPINSKY/AFP)

Prendre conscience de tout ce contexte historique nous laisse donc penser que de part et d’autre l’imagerie utilisée par les belligérants n’a pas toujours une signification strictement idéologique, mais parfois plus symbolique.
En effet, chez nous le régime nazi apparaît comme l’occupant et l’instigateur du massacre de millions de personnes dans les camps. L’URSS est quant à elle vu comme une alliée, certes un peu gênante à cause de Staline, mais alliée quand même. Bien qu’ils s’agissent de deux régimes ayant causé des millions de morts le communisme autoritaire semble donc souffrir d’une moins mauvaise image, alors que le nazisme représente l’horreur absolue. En Ukraine, principalement à l’ouest, le repoussoir ultime serait plutôt le bolchévisme. L’Allemagne nazie semble considérée par certains (Svoboda, Pravy Sektor) comme libératrice puisqu’en 1941 elle faisait reculer les soviétiques huit ans après la famine causée par Staline. Nous serions donc tentés de penser que la tolérance des manifestants auprès de néo-nazis avérés est le fruit d’un sentiment « anti-bolchévique » commun, qui signifie dans le contexte local une opposition à la main mise de la Russie sur l’Ukraine. Signalons au passage que l’antisémitisme, qui suscite chez nous de vives émotions, semble malheureusement relativement commun là-bas, le camp important peu.

Pro-russes manifestants à Donetsk (Ukraine de l’Est) contre le gouvernement de Kiev formé suite au départ de Ianoukovytch, avec parmi eux des nostalgiques de Staline. (photo SERGEI SUPINSKY/AFP)

Pro-russes manifestants à Donetsk (Ukraine de l’Est) contre le gouvernement de Kiev formé suite au départ de Ianoukovytch, avec parmi eux des nostalgiques de Staline. (photo SERGEI SUPINSKY/AFP)

Dans le sens inverse, suite à la chute de Ianoukovytch, Poutine envahissait de manière à peine dissimulée la Crimée. On a pu voir à ce moment-là des images de manifestants russes soutenant son action en brandissant des drapeaux de l’URSS et des effigies de Staline. Nous comprenons bien ici qu’il s’agit de défendre plutôt l’idée de Grande Russie que de solidarité entre les peuples. N’en déplaise à ceux qui par chez nous se sentent subversifs en voyant Poutine comme un rempart à l’impérialisme nord-américain (que nous n’irons pas nier), c’est ici une image claire d’un impérialisme russe qu’il nous est donné de voir. Ironie de la chose et comme pour nous prouver que cette imagerie communiste était creuse, on apprenait après l’annexion de la Crimée que le Président russe souhaitait y créer un « Las Vegas russe »2 !
Autre élément intéressant dans la communication russe, c’est cette position de pourfendeur du fascisme que s’est donné Poutine. Il est assez savoureux de voir cela quand on connaît les propos qu’il peut tenir sur les homosexuels ou les Tchétchènes ou quand on sait que les néo-nazis russes se livrent depuis longtemps à des manifestations, des ratonnades et des traques de clandestins, de Juifs ou d’homosexuels sans être trop inquiétés.

Une issue difficile à entrevoir

Bien que la plupart des médias occidentaux aient fait mine de pas le voir, les néo-nazis ukrainiens se sont offert une belle visibilité dans les manifestations. Plus grave encore le gouvernement désigné par le parlement ukrainien en février compte sur ses 21 membres 5 ministres issus de Svoboda. Là encore très peu de réaction de la part de l’Union Européenne et des USA, à croire que toutes les alliances sont acceptables pour contrer Poutine. Si le très faible score (1,16 %, dixième position) de Svoboda à l’élection présidentielle de juin relativise la légitimité de ce parti la vigilance est de mise. Rappelons qu’à l’heure actuelle des combats ont lieu entre milice pro-russe et milice pro-ukrainienne ou militaires ukrainiens. Des membres de la famille de Katia qui vivaient près d’Odessa ont préféré partir vers l’Ouest tant la ville devenait dangereuse. De la même manière des médias israéliens francophones rapportent que des familles juives de l’Est de l’Ukraine migrent en Israël tant l’avenir leur paraît incertain.
Enfin, il est désolant de constater que le nouveau président, Petro Porochenko, est une fois de plus un de ces oligarques corrompus. En février nous avions pu découvrir la demeure de Ianoukovytch digne de Tony Montana, à quoi ressemblera celle de ce milliardaire issu de l’industrie du chocolat ?

par M.

1 : http://www.lemonde.fr/europe/article/2014/02/03/ukraine-itineraire-d-une-radicalisation_4358677_3214.html
2 : http://www.francetvinfo.fr/monde/europe/manifestations-en-ukraine/crimee/poutine-veut-faire-de-la-crimee-un-nouveau-las-vegas_582383.html

René Binamé : l’intervew

Pour ceux qui ne connaissent pas les René Binamé, il s’agit d’un groupe difficile à classer musicalement. On les range dans le punk, mais à l’écoute on comprend bien que s’ils ont l’état d’esprit punk, ils s’éloignent cependant volontiers de ce style musical. Chaque album est différent, tantôt avec des chansons amusantes et un synthé, tantôt avec des chants révolutionnaires, tantôt en flamand, tantôt en wallon, tantôt en français, bref leurs expériences musicales sont multiples. Atteignant bientôt 30 ans d’existence, ils sont l’un des plus anciens groupes de la scène punk encore en activité. Ça faisait un moment qu’on attendait de pouvoir les voir en concert avec Koma, ce qui a finalement eu lieu pas loin de Montpellier en juin dernier. L’occasion d’interviewer ce groupe emblématique devenait alors trop belle, nous l’avons donc saisie !
Résultat : une entretien durant lequel Binam’ (chant/batterie) revient sur le parcours du groupe, nous parle d’Étienne Roda-Gil et fait se croiser le situationniste Raoul Vaneigem et le chanteur de variété Mort Schuman.

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M : Je vous écoute depuis que je suis ado. Vous avez commencé en 86, avant ma naissance et vous êtes un des seuls groupes que je connaisse qui ne se soit jamais arrêté. Comment voyez-vous cette continuité ?

Binam’ : Elle est là parce qu’elle est là. C’est pas un but, c’est pas une performance, c’est comme ça.
Il y a beaucoup de raisons d’arrêter un groupe. Parce que tu ne t’entends plus avec les gens avec qui tu le fais, parce que tu t’entends toujours avec eux, mais tu n’as plus envie de continuer, parce que tu es arrivé au bout de ce que tu avais envie de faire, parce que tu as envie de faire autre chose. Donc faire un groupe qui dure longtemps ça n’est pas mieux que faire un groupe qui dure pas longtemps. Il n’y a pas de record, c’est comme ça.
Titi : Tant qu’il y a l’énergie pour le faire, pourquoi ne pas le faire.
B : Tirer un groupe en longueur je crois que c’est affreux et je ne pense pas qu’on ait fait ça à un moment ou l’autre. Si ça a duré longtemps c’est parce qu’il y a du plaisir… Bon, il y a du relais c’est pas les mêmes gens qui jouent depuis vingt ans.

M : Qui est resté du groupe d’origine ?

B : Alors d’origine il n’y a que moi. En 95 arrive R-man et il est toujours dans le groupe. Ça fait quand même une grosse période ensemble. Smerf arrive pas longtemps après donc il y a une continuité1.

M : Il y a des changements de style au fil de votre parcours. Il y a eu une époque avec synthé notamment. Tout cela est assez atypique pour un groupe.

B : Dans ma tête, dans la tête des gens qui ont joué dans le groupe, on ne vise pas un style musical. Donc on ne change pas de style musical au sens où on se dirait : « Tiens, on faisait du ska, maintenant on va faire du punk ». Si le style musical change c’est parce que l’humeur est différente d’un jour à l’autre donc je ne le vois pas comme ça.
T : C’est une évolution au fil du temps.

M : Mais dans la pratique il y a peu de groupes qui varient autant.

T :  Peut-être parce que c’est des groupes qui vendent. Et puis c’est des styles qui marchent, donc ils se disent faut pas qu’on casse notre style sinon ça va moins bien marcher.
B : Moi je crois pas qu’il y a peu de groupes qui ne changent pas. Je crois qu’il y a beaucoup de groupes qui visent un style et qui restent bloqués dedans. Ça c’est vrai. Mais à côté de ces groupes-là il y a beaucoup de groupes qui se permettent de vivre en liberté avec leur musique et qui ne sont pas inquiets quand ils sont infidèles à une ligne musicale qu’ils n’ont jamais choisie. Je crois que ça n’est pas si rare que ça, mais le contraire est fréquent et il prend beaucoup de place.

M : J’ai lu dans une interview du fanzine Niaproun2, que vous aviez testé la techno parce que tout le monde disait que c’était nul, que vous avez fait des trucs politiques parce qu’on vous prenait pour des rigolos, et qu’après les chansons politiques vous avez refait des morceaux rigolos. Est-ce que vous cherchez à être inattendu, à surprendre votre public ?

B : Les deux exemples que tu as donné, ça l’a été. Mais cela concerne notre microcosme belge où durant une période on était considérés par les gens qui nous entouraient comme un groupe rigolo. Donc on a mis en avant notre volonté de faire des morceaux qui avaient un message, qui disaient quelque chose et on a mis de côté notre humour parce qu’il prenait trop de place. Et puis à un moment on a fait le contraire, mais ça concerne notre microcosme belgo-belge. Quand on a été un peu plus loin on a été libérés de ça. Quand on a été jouer en Suisse ou en France on a été débarrassés de notre background de clowns du début.

M : Donc ça veut quand même dire que lorsque vous sentez qu’on vous colle une certaine image vous avez envie d’en sortir…

B : Pas que, mais oui.

M : Vous ne voulez pas rester dans une case qu’on vous attribuerait.

B : Et qu’on s’attribuerait, nous-même d’ailleurs !

M : Votre album 71-86-21-36 est le plus connu. Est-ce que ça ne vous agace pas un peu parfois ?

B : Des fois, pas toujours. Que ça nous ait agacés c’est peut-être un grand mot, mais la réponse à cet agacement c’est Kestufé Du Wéék-End ? Justement, c’est un album où il n’y a pas de reprise, où il y a des morceaux qu’on avait écrits nous-même. On faisait nos morceaux anti-capitalistes et anti-économistes, c’est comme ça qu’on l’avait dit, et nos morceaux plus absurdes.
Mais 71-86-21-36, pourquoi il existe ? Dans le parcours de vie des gens du groupe à ce moment-là, il y a des morceaux qu’on entendait et qui nous semblaient importants. Et puis au bout d’un moment on a eu envie de les transmettre par la suite, c’est ce qu’on a fait. Il a un rôle, une utilité concrète, il sert à quelque chose ce disque. C’est pour ça qu’il a été fait, pour que ces morceaux continuent à vivre.

M : Alors justement, on se rapproche du sujet de l’anarchisme, Koma avait une question.
Koma : Vous avez joué à Saint-Imier3, ça a dû être un moment fort j’imagine ? Comment vous l’avez vécu ? Quelle place a ce concert dans votre parcours ?

B : Quelle place dans le parcours, je ne sais pas trop. Je vais te dire comment je l’ai vécu. La première chose que j’ai appréciée dans le fait d’y avoir joué, c’est d’y être et ce que j’ai apprécié dans le fait d’y être c’est de voir comment ça s’est passé. Ce que j’ai aimé c’est la rencontre avec toutes une série de manières d’appréhender l’activisme anarchiste. Il y a des gens qui ont des points de vue extrêmement différents : il y a des gens qui visent une espèce de transmission de la culture anarchiste, il y en a qui visent autre chose qui concerne plus la vie de tous les jours avec le prix libre, le veganisme et d’autres choses comme ça. Ces manières de voir les choses se sont opposées pendant ces quelques jours. Mais je crois qu’en se rencontrant, elles sont entrées en débat.

K : Ça c’est frité un peu je crois…

B : Oui mais ce fritage il était vraiment intéressant. Il y a eu une action des vegans sur le barbecue à L’Espace Noir4, il y a eu une revendication du prix libre à l’entrée du concert de René Binamé, des choses comme ça. Mais tout ça, ça fait des débats qui ont ouvert des questions. Il y a des gens qui se sont vus assaillis par d’autres qui voulaient le prix libre. Je crois que ce débat n’était pas inutile donc je pense que cette rencontre internationale des anarchismes de toutes sortes, elle a fait se rencontrer des gens qui ne se connaissaient pas. Je crois qu’elle était bien intéressante pour ça. Ils se sont bien engueulés, hein !  Mais en s’engueulant ils se sont mis à discuter.

T : Faut voir comment ça se passera la prochaine fois !

B : Mais les rencontres qu’il y a eu c’est impressionnant, les cuisines collectives qui venaient d’un peu partout. Franchement c’était bien et les engueulades étaient nécessaires et constructives, je crois !

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M : D’ailleurs c’est amusant que ce rassemblement ait eu lieu en Suisse, un pays qu’on ne considère pas forcément comme très « anarchiste ».

B : On discute parfois dans la camionnette de choses et d’autres et on discutait tantôt de la définition du mot punk… Mais le mot anarchiste c’est impressionnant le nombre de définitions qu’il a lui aussi, le nombre de personnes qui peuvent avoir des styles de vie et d’interprétations du monde différents et qui se considèrent les uns et les autres comme anarchistes… Quand ils sont capables de voir qu’on peut se considérer anarchiste de manière différente, c’est intéressant, mais certains peuvent être étonnés de voir quelqu’un qui vit différemment et qui dit : « Je suis anarchiste ! Toi aussi ? Tiens c’est bizarre ! Pourquoi tu me laisses pas entrer au concert sans payer ? »

M : Je reviens à 71-86-21-36. Sur cet album vous reprenez La Makhnovtchina, en ce moment la crise ukrainienne continue et on a vu que des nationalistes reprenaient l’image de Makhno. L’avez-vous vu, et si oui comment le comprenez vous ? Avez-vous une idée là-dessus ?

B : Non, je n’ai pas vu, mais je me doute que c’est possible. Le problème c’est que Makhno est mort trop tôt. Il est mort pitoyablement à Paris5 et il n’a pas pu transmettre ce qu’il avait fait.

M : À propos de cette chanson vous l’attribuez sur la pochette du disque à un certain Atourof, pourtant j’ai lu qu’elle est d’Étienne Roda-Gil. Cela m’a étonné vu qu’il était aussi le parolier de Julien Clerc, Johnny ou encore Claude François…

Gredin : Oui, mais c’était le président d’honneur de la CNT…

B : Et de la SACEM… (rires)

M : C’est compatible ça ?

B : Ben, en tant qu’artisan-auteur, c’est pas forcément si incompatible que ça. Ça dépend de quel angle tu le vois.

G : Il travaille quoi.

B : C’est un syndicat la SACEM…

M : En attendant c’est amusant de voir le contraste entre Julien Clerc ou Claude François et la Makhnovtchina.

B : D’après Étienne Roda-Gil, Le Lac Majeur par Mort Schuman (qui chantait Papa Tango Charlie), est un morceau qui lui a été inspiré par un épisode de la vie de Michel Bakounine. C’est écrit comme ça sur les notes intérieures d’une pochette de disque. C’est le feu d’artifice que Bakounine a fait sur le Lac Majeur à la fin de sa vie.

[Binam’ revient ici sur le fait qu’ils n’ont pas crédité Étienne Roda-Gil pour La Makhnovtchina.]
Concernant Étienne Roda-Gil, il y a ce morceau-là [La Makhnovtchina] sur Pour en finir avec le travail. C’est un disque qui a été fait en 1970 par Jacques Leglou et d’autres, des gens proches des situs et qui avaient envie de faire un disque populaire, révolutionnaire, patati patata… Du coup, sur ce disque il y a La vie s’écoule, la vie s’enfuit de Raoul Vaneigem, La rue des bons enfants de Guy Debord et d’autres chansons, mais elles sont attribuées à d’autres gens. La rue des bons enfants est attribué à Raymond la Science de la bande à Bonnot, par exemple. Et puis ces histoires-là ont été répétées pendant des années parce que cette pochette de disque avait l’air sérieuse. Quand on a repris le morceau on y a cru. On a su que c’était faux lorsque que le disque a été réédité en 2000 et que ceux qui l’ont réédité ont rétabli les vrais noms… Ou ont inventé d’autres canulars !

K : Je voulais savoir si Raoul Vaneigem6 ne vous avait pas trop fait chier pour les droits de la chanson La vie s’écoule ?

B : Non, mais on s’est posé la question avant ! (Rires) Non, on ne s’est pas posé la question pour lui, mais on s’est posé la question pour d’autres, lui on s’est dit : « C’est pas possible !»

K : Et comment est venu le fait que vous repreniez cette chanson ? Même si ça paraît logique.

B : Comment ce morceau est arrivé jusqu’à nous ? Comme tu dis c’est logique. Comment ça nous est venu… C’est Radio Air Libre, une radio libre bruxelloise, qui passait ce morceau et d’autres en boucle. En fait sur 71-86-21-26, c’est des morceaux qui passaient sur cette radio, qu’on a entendus et  enregistrés pour les partager. Ceci dit La vie s’écoule n’était pas dessus, donc c’est une suite.

K : Oui c’est sur l’album le plus récent, La vie s’écoule en 2011  [71-86-21-36 date de 1996]. Il a eu un traitement spécial celui-là, avec un joli clip aussi ! Il a été bichonné !

B : Oui il a eu un traitement spécial, il a fallu plus de temps. Alors que 71-86-21-36 a été fait de manière extrêmement brouillonne, c’est le disque qu’on a enregistré le plus vite et le plus mal, mais on en est très contents.

M : C’est fou, c’est celui qui a le plus de succès !

B : C’est impressionnant ! On a perdu le disque dur en cours de route donc on a dû récupérer les mixs ratés du début qu’on a mis quand même dans le final. On s’était dit on sort un disque… T’as écrit ça ? Non mais c’est vrai, mais il fallait pas le faire autrement. Il y avait une urgence, il fallait le faire comme ça et puis merde ! C’était notre spontanéité du moment. On l’a pas bien fait, mais on l’a fait !

M : Avant de terminer cette interview j’aurais voulu savoir quels sont vos projets pour le groupe à l’avenir ?

B : Joker ! (rires)

Là-dessus les gens du KJBI nous ont gentiment fait comprendre que ça serait sympa de lever le camp car ils allaient boucler la salle. Ça tombait bien on avait finit. Avec Koma nous avons donc chaleureusement remercié les René Binamé et avons pris nos clics et nos clacs ! Bon courage au KJBI, on espère reparler de vos soirées une prochaine fois ! ■

Par M. et Koma.

1 : La composition du groupe est mouvante suivant la disponibilité de ses membres. Pour ce concert Binam’ était accompagné de Titi et Gredin.
2 : Niaproun : http://www.niaproun.net/.
3 : Du 8 au 12 août 2012 à Saint-Imier, village suisse, s’est déroulée la Rencontre Internationale de l’Anarchisme. Le rassemblement célébrait également les 140 ans de ce courant politique dont la “naissance” avait eu lieu en 1872 dans ce village.
4 : Un des lieux centraux du rassemblement.
5 : Makhno en exil à Paris sera ouvrier un bref moment chez Renault. Affaibli par les blessures subies lors de ses combats en Ukraine il ne pourra plus travailler et mourra peu de temps après.
6 : philosophe de l’Internationale Situationniste, mouvement politique révolutionnaire ayant existé entre 1957 et 1972.

René Binamé au KJBI (14/06/2014)

Il faut bien le dire René Binamé est un de mes groupes préférés. Je l’ai découvert ado en récupérant des mp3 sur Internet. Si j’avais bien aimé, surtout leur album 71-86-21-36, je n’avais pas creusé plus et n’étais pas plus fan que ça. Au point que je me souviens être allé à une soirée à Périgueux en 2008 ou 2009 où il jouait avec Guérilla Poubelle et que j’étais dehors à boire des bières pendant leur set… (je me flagelle chaque fois que j’y repense). Depuis, du temps a passé et j’ai appris à mieux apprécier leurs chansons. J’espérai les voir en live un jour pour réparer cette erreur de jeunesse !

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René Binamé. Flous.

Cette occasion s’est présentée le samedi 14 juin. Le trio belge (pour cette soirée en l’occurrence franco-belge) se produisait au KJBI, bar associatif à forte tendance punk qui vient d’ouvrir au Crès juste à côté de Montpellier. Ni une ni deux, en apprenant ça j’ai tout de suite prévenu quelques comparses susceptibles d’être intéressés. Il n’y a finalement que Koma qui m’a répondu présent et qui m’a accompagné.

Le début des hostilités annoncé pour 21h, on se pointe dans ces eaux-là après avoir englouti une pizza. Pas grand monde devant la salle, il faut dire que l’info n’a pas beaucoup tournée. Pour en avoir discuté avec quelqu’un de la salle (je ne sais plus son nom, désolé) l’asso n’a pas eu le temps de faire la com’, trop occupée par les travaux à réaliser. Du coup ils se sont limités à Facebook (grrrr!), mais la personne m’a assuré qu’ils allaient faire un site Internet (ouf!), on vous tiendra au courant.

Lazy Doll Factice en pleine action !

Lazy Doll Factice en pleine action !

C’est le groupe FightOrPeaceMotte qui ouvre le bal. C’est un peu difficile pour eux étant donné qu’il y a encore peu de monde. Pour ne rien arranger le son est très fort et on ne comprend pas grand chose à ce qui se dit. C’est dommage parce qu’ils ont de l’énergie et un jeu de scène sympa. Pour avoir écouté leur disque que le gratteux m’a filé pendant la soirée, je peux vous dire que c’est plutôt sympa. C’est du punk-rock comme les montpellierains semble savoir en faire, quelque part entre les Shériff et les Molards.

Lazy Doll Factice, est le groupe suivant. Pour les avoir déjà vus je savais qu’ils envoyaient. Même si c’est pas trop mon style de punk (à grosse voix), en concert c’est efficace. Malgré une alcoolémie déjà bien avancée au moment de monter sur scène ils arrivent à nous produire un set qui tient à peu près la route et qui est plutôt marrant. En revanche pour eux aussi le son est vraiment pourri, dommage.

Arrive enfin ceux pour qui nous sommes venu avec Koma : René Binamé ! Ils installent leur propre sono, ce qui nous laisse espérer un son un peu meilleur que pour les précédents groupes. Cela se confirme dès le départ ! Le trio attaque son set et durant le premier quart d’heure je m’inquiète de la durée du concert tellement ils enchaînent vite, sans pause entre les morceaux. Je voudrais les voir plus de 30 minutes ! Finalement ils reprennent une cadence un peu plus normale. C’est pas que c’est plus lent, j’ai trouvé d’ailleurs que certains morceaux étaient plus péchus en live que sur les albums, mais ils prennent plus leur temps. Évidemment quand ils en arrivent à jouer La Makhnovtchina ou Juillet 1936, le public chante avec eux en chœur. Ça confirme la question que je voulais leur poser, à savoir si ça ne les agacent pas que ça soit leur album 71-86-21-36, où sont enregistrées ces chansons, qui ait le plus de succès. Enfin j’y réfléchis pas trop non plus à ce moment-là, j’ai arrêté de compter les bières et je chante aussi, faut pas croire.

Le concert se termine et avec Koma on se dit (en gros) : « Putain on les a vu ! » On discute un peu à droite à gauche. Quelqu’un a remarqué qu’on avait laissé traîner quelques zines. Le gars s’appelle Mondine il est bien emballé par notre truc et me propose de passer en parler dans son émission Radio H sur Radio Campus Montpellier le week-end suivant. Le rendez-vous est pris !

Pour ma part je garde tout de même Binam’ (le chanteur-batteur-fondateur de René Binamé) à l’œil. C’est qu’on voudrait le choper pour l’interviewer, le bougre ! On y arrive, on se faufile en « backstage » (le grand mot) pour être au calme.

Après l’interview on lève le camp, contents de la soirée. Espérons que le KJBI perdure pour continuer à nous proposer d’autre petits concerts sympas comme ça (avec un meilleur son espérons !). Signalons également que les René Binamé jouaient le lendemain à la Plaine à Marseille en soutien aux personnes arrêtées lors du carnaval de la Plaine et dont certaines ont pris de la prison ferme.

par M.

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