Petite robe de fête

Nous avons trouvé ce texte affiché dans la rue Bonneterie à Avignon durant le festival. Comme nous l’avons trouvé particulièrement juste nous le reproduisons ici et nous vous proposons une version PDF avec une mise en page proche de l’original.

Toi qui arrives du lointain, ne te laisse pas abuser par quelques mirages disposés, ça et là, comme boussole à la compréhension de la cité.

Tu as déjà entendu parler de notre ville, du prestige dont elle jouit pour ces monuments ceinturés dans l’épaisse muraille. C’est un peu son nombril, qu’elle propose aux regards, au travers duquel elle se mire sans cesse.

Tout comme chacun se mire dans le regard de l’autre durant le festival, cherchant à y débusquer, un artiste, un comédien, quelqu’un de connu, une aubaine narcissique, le théâtre intégral.

Avant toute chose, tu seras édifié(e) par les murs qui étreignent le cœur ; un décor savamment entretenu, qui opère concrètement une rupture entre deux villes : l’intra-muros et le reste.

Ce charme viendra pourtant contraster avec une pauvreté manifeste, quantité de personnes mendiant par les rues. Sais-tu d’ailleurs que dans notre « ville d’esprit » – telle qu’ils la nomment – , une personne sur trois vit en dessous du seuil de pauvreté. Que tout récemment on a classé Avignon après Marseille sur l’échelle de la misère.

Les efforts répétés de Mère Ubu – notre ancienne mairesse – pour pousser au loin les populations modestes du centre ville n’auront pas suffi, pas plus que l’air du temps : spéculation locative, mitage immobilier, pandémie de snacks et restaurants, surveillance accrue par voie de caméras, prédominance de boutiques s’adressant aux touristes plutôt qu’aux riverains, promotion de l’emploi par l’inflation de policiers municipaux, hégémonie crapuleuse des halles sur toute autre forme de marché populaire en centre ville, incitation programmée à une culture tape à l’œil…
Autant d’exemples qui témoignent d’un accaparement du territoire au profit éphémère de ceux qui n’habitent pas la ville, mais la traverse, téléguidés qu’ils sont vers des trajectoires captives.

Si la critique de la monoculture est largement établie dans le monde agricole, les sphères « politiques » feraient bien de s’en inspirer, versant dans la monoculture patrimoniale et théâtrale, sur canapé touristique. On fictionne Avignon dans quelques années, saturées de théâtres qui attendent l’été et auront remplacé ici la boulangerie, là l’épicerie, là-bas le bistrot, le local associatif, la papeterie, la librairie… On se prend à imaginer une ligne de bus qui ne desserve que les agences immobilières.

Le constat est sévère : 69 ans de festival auront-ils apporté le supplément d’âmes espéré, inspiré, insufflé ? L’infusion dans le bouillon de culture suffit à peine à contenir xénophobie et autres inclinations aux instincts grégaires.

La mise en scène serait-elle trop bien rodée, l’excès canalisé, les surfaces miroitantes évitant la compréhension si nombreuses ? On croit jouir, on s’agite à l’intérieur de flux compulsifs, l’agenda des vacances se fait plus lourd que l’agenda de l’année.

On agite le spectre vertueux du fondateur Jean Vilar à grands renforts de prêches, tandis qu’en coulisse on actionne les principes de castes d’excellence, de relent aristocratique. Qu’on soit de la direction du In ou du Off, mondanités et mépris ne sont jamais loin. On pense à ces briseurs de grève qui plastronnent au sortir d’AG en juillet 2014, pour la photo dans un journal local, mise en abîme pathétique du « je m’as-tu vu ».

Déception cuisante dont les ressorts logiques ne trompent personne, le festival n’est pas conçu pour les Avignonnais. Ils n’y sont associés que par le bénéfice immédiat de l’argent, donc corrompus. Ma terrasse, mon boulot dans le In, mon appart’ en sous-loc, mon garage en théâtre et cœtera…

Laissons donc les commerçants, les spéculateurs, les gens de bien faire leurs affaires et nous dire comment il faut le faire ! N’y a-t-il pas là d’ailleurs un trait de culture qui s’imprime ? Ne sommes-nous pas rendus un peu bizarres, si l’on ne participe pas au doux frisson de sous-louer son appartement durant le festival ? Tous entrepreneurs de soi-même et complice de l’évolution générale ?

Papauté et festival sont les lunettes noires de notre flegme sudiste : le point aveugle d’une population hébétée, qui balance entre socialisme, charité bien ordonnée et/ou fascisme relooké. Un pestacle et une limonade siouplait !

C’est à l’intérieur de ce récit que nous hibernons. Ci-gît un fabliau historique, l’héritage mensonger de la ville. La petite histoire n’y a pas d’existence. Les belles choses arrivent toujours de l’extérieur par enchantement ou onction sacrée. Les peuples n’y ont pas leur place.

Spéculations immobilières et festivalières se nourrissent d’un délaissement de la ville, de la vie par ces habitants, de notre manque d’initiative à créer des situations par-delà l’entre soi, dont le profit sonnant et trébuchant ne serait pas l’issue première.

L’enjeu est là, la ligne de tension clairement exposée ; il nous faut regagner vie sur ce colonisateur qui ne dit pas son nom, qui provoque l’attentisme, l’inertie les dix mois qui suivent la rente de juillet. L’ombre coûte cher en Provence.

De quoi rêvons-nous alors ?

De défaire le rempart sud pour s’ouvrir à ceux de l’extra ; d’un centre ville qui se repeuple tel qu’au Moyen-Âge ou durant l’Antiquité – 30 000 personnes contre 17 000 aujourd’hui.
De sortir le tabouret dans la rue ? Nous rêvons de jardins-potagers plutôt que de tramway, d’un pont piéton sur le Rhône, de marchés de producteurs dans la ville, de fontaines en lieu et place de la vidéo surveillance, de cerf-volant, d’appeaux géants à portée de mistral. Qu’on stoppe l’extension des zones commerciales – plus forte densité d’Europe par habitant-, que place de l’Horloge on s’invite au repas de rue quotidiennement qu’il reste une placette ou s’asseoir sans tomber sous le joug d’un limonadier, avant toute chose que nous devenions instigateurs d’un théâtre joyeux.

Fort heureusement, il y a la rencontre, les possibles démultipliés dans la parenthèse de juillet. Il y a les mots et les textes qui partout circulent, intériorisés par tant de chanteurs, de comédiens, par ceux qui se taisent, qui écoutent, qui regardent… et qui devinent pas moins.

Toi cher lecteur qui arrive du lointain, ne nous laisse pas seuls. Prends le temps d’y songer, de regarder autour de toi, de traduire cela en chanson, en récit, en mime, en dessin, en article que sais-je… que chacun de nous, vous chair à canon de l’ogre festival, nous populace enchaînée à l’événement, puissions tendre quelques miroirs réfléchissants, agiter un spectre de fraîcheur face à ce carrousel infernal.

Fumigène.

Être adulte, c’est retrouver le sérieux qu’on mettait aux jeux étant enfant.
F. Nietzsche

Petite robe de fête en PDF.

La mini Euskal-playlist !

Dans nos articles sur le Pays Basque on vous a un peu parlé de musique. Voici quelques groupes que nous vous conseillons.

Tout d’abord, deux groupes vus lors du Lizarrako Txoznak 2014  :

AnaiArrebakAnai Arrebak
Mélange de disco, d’électro et de rock, le tout chanté en basque, ce groupe se laisse bien écouter en concert. Pour un petit aperçu suivre le lien :
http://anaiarrebak.com/

PORTADA FINALZartako-k
Ils définissent leur musique comme du street-ska, pour vous éclairer un peu on dira que c’est du ska tirant sur le punk, notamment au niveau de la hargne du chant et par certains passages de gratte. Parfois quelques choeurs donne un petit côté oi! au tout ce qui n’est jamais désagréable après quelques patxaran !
https://myspace.com/zartakok/music/songs

Enfin, comment vous conseiller de la musique sans parler des groupes de Fermin Muguruza et de son frêre Iñigo, véritables icônes du rock basque (tout ça se trouve avec une simple recherche sur le net):

kortatu-cKortatu
Formation punk/ska mythique du Pays Basque, énormément de groupes reprennent leur morceaux qui sont devenus la bande son de toute une frange du militantisme basque dans les années 80. Pour commencer, nous vous conseillerons trois de leurs principaux titres : Zu atrapatu arte !, La familia Iskariote et enfin l’incontournable Sarri, Sarri qui s’inspire de l’évasion de membres d’ETA de la prison de San Sebastian.

negugorriakNegu Goriak
Deuxième formation des deux frères dans laquelle ils mélangent leur punk/rock/ska des origines avec le hip-hop qui fait son apparation au début des années 90. On note aussi quelques samples de musique traditionnelle basque sur certaines pistes. Toujours très impliqués politiquement, vous trouverez sur internet des vidéos assez impressionnantes de lives en soutien aux prisonniers politiques basques. Ils feront également des collaborations avec la Mano Negra.
On évoquera notamment le très bon titre Radio Rahim en hommage au personnage éponyme du film Do the Right Thing de Spike Lee sorti en 1989.

Périple en euskadi (1/2) : Le Pays Basque, une terre de luttes !

Alors qu’environ 100 000 personnes ont bravé l’interdiction de manifester en faveur des prisonniers politiques basques à Bilbao, c’est l’occasion pour nous de mettre en ligne notre mini-dossier sur le Pays-Basque publié dans notre n°8.

Cet été Spasme ! s’est baladé au Pays Basque. Un endroit que nous connaissions déjà pour certains qui y ont vécu, mais qui réserve néanmoins toujours de nouvelles découvertes. Dans les pages qui suivent nous vous en ferons découvrir quelques unes.

Fresque défendant le retour des prisonniers politiques basques sur la plage principale de Lekeitio.

Fresque défendant le retour des prisonniers politiques basques sur la plage principale de Lekeitio.

Le Pays Basque quand on ne connaît pas, on ne comprend pas forcément tout ce qui s’y passe du premier coup. On a bien souvent les deux images stéréotypées que veulent bien nous en donner les États français et espagnol avec leur médias. D’un côté le gentil basque festif en rouge et blanc qui aime la corrida, le jambon et la pelote, de l’autre le méchant basque terroriste, caractéristique qui se suffit à elle-même pour éviter d’écouter ce qu’il a à dire (des fois que ça donne des idées à d’autres). Évidemment, c’est un peu plus compliqué que ça. Si le “basque folklorique” existe bien pour distraire le touriste en mal d’exotisme, nous avons préféré nous pencher sur les mouvements de luttes que nous avons pu voir en y allant. Enthousiasmants par certains côtés, il arrive parfois que l’on soit un peu perdu face à certaines revendications (communisme façon marteau-faucille),  ou étiquettes (patriote de gauche). Pour nous aider à y voir plus claire j’ai demander à Lander, un copain de là-bas, de nous éclairer un peu.

Spasme : On peut remarquer que bien souvent les groupes militants basques ont de fortes influences communistes. On voit assez fréquemment des graffitis représentant le marteau et la faucille. Pour m’être retrouvé dans un concert organisé par l’association ERNAI (qui prône la devise « Indepandentzia, Socialsmoa, Feminismoa »), j’ai constaté que ce symbole était mis en avant. N’est-il pas étrange que ce type de communisme qui a prouvé son caractère autoritaire dans les pays de l’Est ou en Asie fasse encore recette, notamment chez les jeunes ?

Lander : En fait, il s’agit d’un fait assez historique, il faut se rappeler que l’Espagne a vécu une guerre civile dans les années 30, entre le camps de l’État républicain socialiste et le putsch militaire fasciste. La résistance à ce coup d’état a été menée par des groupes très hétéroclites (socialiste, communiste, anarchiste), mais l’URSS a été un acteur majeur dans les livraisons d’armes à l’État républicain, d’où une influence très forte de la symbolique communiste soviétique. Pendant toute la période de la dictature cette influence communiste est reprise dans les groupes de résistance révolutionnaire, notamment l’ETA. De nos jours les slogans et les symboles sont toujours ancrés dans les mouvements des jeunes, mais j’ai l’impression que dans ce genre de mouvement l’idéologie principale est axée sur l’indépendance, l’autodétermination du PB, et je me demande bien ce que signifie encore pour ces jeunes le mot “socialisme”. Je n’ai pas l’impression qu’il y ait beaucoup de réflexion dans ce sens-là, à part une idée vague d’un anticapitalisme. Mais peut-être que cela est en train de changer avec la crise profonde que traverse l’Espagne. Je pense que ce serait une idée intéressante de demander à ces militants ce que signifie pour eux le mot “socialisme”. Je serai bien curieux de connaître leurs réponses!

S. : Existe-t-il d’autres courants sur des bases plus libertaires ?

L. : Bien sûr, pas mal de gaztetxe (maison des jeunes) reprennent des modèles d’organisation libertaire, mais j’ai l’impression que c’est plutôt des petits noyaux, dont l’influence se limite à la ville du gaztetxe. L’ensemble de ces expériences forment peut-être un courant plus libertaire, mais je suis pas sûr qu’il y ait vraiment d’organisation entre ces gaztetxe libertaires!

Fresque sur un mur du Petit Bayonne

Fresque sur un mur du Petit Bayonne

S. : En théorie le nationalisme débouche facilement sur la xénophobie ou du moins sur la création de frontières ce qui est difficilement conciliable avec les idées communistes ou libertaires. Comment cela fonctionne-t-il au Pays-Basque ?

L. : C’est un peu la magie de ces mouvements esker abertzale (patriote de gauche), ils arrivent à unifier ces deux idées!  Les mouvements basques sont un cocktail de nationalisme, de socialisme et d’idée libertaire. Mais pour ma part j’ai un peu de mal à comprendre cette obsession nationaliste! L’idée de nationalisme est surtout animée par l’envie d’indépendance, mais après où commence la limite de la xénophobie, je ne sais pas.

S. : ETA a décidé de déposer les armes. Que faut-il comprendre de cette décision ?

L. : Je crois qu’il faut comprendre que l’idée de lutte armée s’est un peu dissipée, la justification d’un conflit armé n’est plus aussi évidente que sous Franco. Cela fait des décennies qu’ETA perdait en force et en soutien, et ces  dernières années ETA n’était plus vraiment très actif.

S. : Pour finir, quelle direction prend le militantisme basque ? As-tu un point de vue sur celle-ci ?

L. : Les choses bougent pas mal, des mouvements se sont dissous. SEGI, une organisation politique de jeunes esker abertzale s’est dissoute. Batasuna, le bras politique de l’ETA s’est dissous aussi. D’autres mouvements ont dû reprendre les idées nationalistes, indépendantiste, et socialistes. ERNAI n’est sûrement que la suite de SEGI. À voir! ■

 

En plus :

Lander nous conseillait de visionner le documentaire de Sylvie Garat « Génération autonomistes basques » diffusé en octobre dernier sur France 3 Aquitaine.

Partie 1
http://youtu.be/pDbsTi4KgRE
Partie 2
http://youtu.be/8RRb0Dl3F5k
Partie 3
http://youtu.be/7m5bsmkY8Ro
Partie 4
http://youtu.be/uikXoZZkQeE

Ressenti concernant la manifestation « Je suis Charlie » à Avignon le dimanche 11 janvier 2015

Voilà, c’est terminé. Les terroristes ont été abattus. Le monde a (presque) unanimement défilé pour défendre le droit d’expression et saluer la mémoire des victimes.
J’écoutais en rentrant de la marche à Avignon les commentateurs de France Inter extatiques : « la Frrrance debout, fière ! », le premier ministre parlant de la démonstration de la « puisssssance de la France » (j’ai sans doute l’esprit mal placé mais je ne pouvais m’empêcher d’y voir quelque chose d’érectile… et du coup de trouver ça plutôt déplacé).
Oui, car comme beaucoup de monde j’y suis allé, même si j’ai beaucoup hésité à participer à un cortège ouvert par une belle brochette de salopards dont des assassins d’une tout autre envergure que les frères Kouachi et Amedy Coulibaly.
Je me demande ce qui est pire : ça ou une indifférence générale ?
La dernière fois que j’ai participé à une marche c’était au mois de juillet dernier. Cette marche suivait alors exactement le même itinéraire, elle avait lieu en plein festival d’Avignon. Il s’agissait de condamner les crimes commis sur les populations civiles de Gaza et de Palestine.
Si je fais le rapprochement ce n’est pas pour établir une comptabilité du ratio nombre de victimes par manifestant (l’obscénité du résultat m’angoisse un peu pour tout vous dire…). C’est pour souligner un contraste saisissant : cet été la grande majorité des personnes présentes dans le cortège était, à l’exception de vieux militants de gauche indécrottables ; la communauté maghrébine des environs. Le public (éclairé) du festival ne semblait pas (dans sa grande majorité) concerné. À se demander si l’éducation et la culture suffisent pour résoudre les choses…
Dimanche, lors de la marche de l’« union républicaine » nous étions surtout entre « blancos », entre « white » comme le dit si élégamment notre (putain de) premier ministre (de merde).
Si j’ai été choqué par l’indifférence du public avignonnais l’été dernier, je n’ai pas été surpris par la désaffection de la communauté maghrébine ce dimanche (en ce qui concerne Avignon tout du moins). En effet, je trouve plutôt gonflé d’appeler à rejoindre l’« union républicaine » toute cette partie de la population. On se souvient tout à coup qu’elle est aussi française alors qu’au regard de sa représentation dans nos institutions politiques et médiatiques, on pourrait en douter !
C’est malheureux mais la première fois que je me suis dit « Tiens ! La vie politique française prend enfin des couleurs ! » c’était à l’arrivée de Sarko. Manœuvre démagogique et cosmétique s’il en est de la part de l’homme qui, toute honte bue, déclarait plus tard sur le sol sénégalais que « l’homme africain n’est pas rentré dans l’Histoire ».
À l’échelle locale ce n’est pas tellement mieux : sur les deux listes municipales de ma ville (l’une de drrrroite et l’autre de « gauche »), une seule présentait en toute fin de liste une étudiante issue de la communauté maghrébine (à ce stade c’est même en deçà du saupoudrage cosmétique de Sarkozy) en revanche sur l’autre liste côté fachos le compte y était ! (vous connaissez le VauKKKluse ?)

Mon avis est que, tant que notre « démocratie », pays des Droits de l’Homme, des lumières, dont les valeurs sont la liberté d’expression, la laïcité, et blablabli et blablabla… qui fait figurer sur le fronton de toutes ses mairies et écoles « Liberté, Égalité, Fraternité » ; tant que ce pays qui se croit en tous points exemplaire fera plus de place dans ses institutions locales et nationales aux partisans de haines raciales, antisémites et xénophobes qu’à ses citoyens à l’épiderme un peu plus pigmenté que la moyenne (musulmans ou pas) nous connaîtrons régulièrement des rejets plus ou moins violents de celle-ci. Y remédier ne résoudra certainement pas tout (il y a aussi entre autres choses le poids de l’histoire : cf. les casseroles coloniales et post-coloniales de la France) mais ça sera déjà un grand pas pour ladite démocratie.

Par ailleurs, il est un autre point qui me pose problème. Alors que la traque des assassins était lancée (la « chasse à l’homme » pour reprendre la terminologie spectaculaire des médias de large audience), j’ai entendu dans mon entourage plusieurs personnes s’exclamer « il faut les buter ces gars-là », j’ai même entendu « il faut les exterminer » (gulps !…). Le dénouement de ces tragiques épisodes leur aura sans doute donné satisfaction. Pas à moi.
Au-delà de l’immense peine que j’ai pour ces dessinateurs dont j’aimais l’esprit et les dessins mais aussi pour toutes les autres victimes, je pense que les agresseurs, au nom de tous les principes cités plus haut, auraient pu et auraient du pouvoir bénéficier de ce qui constitue la base d’un État de droit me semble-t-il : un jugement !
C’est sans doute très facile à dire d’où je me trouve, confortablement assis derrière l’écran de mon ordinateur, mais il me semble que le scénario est le même pour chacun de ces épisodes. On connaissait tous à l’avance l’issue fatale. Comme si plus de sang pouvait laver le sang déjà versé. Kelkal en 1995, Merah en 2012, les frères Kouachi et Amedy Coulibaly maintenant : aucun de ces gars n’est capturé vivant pour être jugé. J’ai du mal à croire que les troupes militaires d’élite puissent procéder sans pertes humaines à l’évacuation des otages et ne puissent pas blesser simplement les agresseurs pour les neutraliser.
L’ampleur de la caisse de résonance que constituent l’émotion, la clameur populaire et l’amplification médiatique fait-elle office de procès ? Pourquoi notre État, dit « de droit », se dispense-t-il à chaque fois dans une situation similaire des procédures judiciaires en vigueur ?
Même des ordures comme Papon, Barbie, même les pires pédophiles ont eu droit à un procès. Pourquoi pas ces assassins-là ? Qu’est ce qui justifie ce « régime de faveur » ? Le peuple ne pouvait-il concevoir d’autre issue que celle du « sang impur abreuvant nos sillons » ? Est-ce le prix à payer pour une très relative et temporaire paix sociale ?
Je pense que nous aurions beaucoup gagné à juger, à entendre ces personnes, ne serait-ce que pour les proches des victimes mais aussi pour celles et ceux, tou-te-s jeunes, qui déjà ruminent une rancœur tenace pour cette « démocratie » qui, quoi qu’il arrive, ne les écoutera ni ne les entendra jamais.

V.M.

Un immense gâchis qui ne doit pas nous faire céder à la panique.

Le site La Horde a repris ce texte tout en gardant des réserves au sujet des intentions calculatrices prétées aux tueurs. Après relecture à tête (un peu) reposée, il est vrai que le texte s’avance un peu trop sans données formelles pour étayer cette idée. Si le résultat est cependant le même nous souhaitions faire cette mise au point à l’heure où fleurissent les prévisibles thèses conspirationnistes.

Que l’on soit clair dès le début : Charlie Hebdo n’était plus un journal contestataire depuis un bon moment. Les amitiés entre l’ancien patron du titre, Philippe Val, et Nicolas Sarkozy sont là pour le prouver. Cela fait par ailleurs plusieurs années que le journal vend du papier en libérant une parole islamophobe de plus en plus assumée à gauche. Malgré tout rien ne justifie l’attentat perpétré contre les membres de la rédaction de ce titre. Cet événement est tragique et il ne peut être pardonné.

Face à l’émotion que l’on ressent il nous faut cependant garder raison. Il est plus que nécessaire de prendre du recul sur la situation et regarder où tout cela tend à nous mener. Cet attentat islamiste va plus loin qu’une simple vengeance au nom du « prophète ». Le but est clairement de diviser la société française et plus particulièrement les classes populaires. Comme le note un très bon article du blog quartiers-libres, en s’attaquant à un journal bénéficiant encore de sympathie chez une partie de la gauche, les intégristes religieux tentent de rompre les digues déjà bien mal en point de l’anti-racisme et d’agrandir encore un peu le fossé entre la population française « de souche » et celle « originaire de l’immigration ». L’effet s’en est fait ressentir dès les premières heures suivant l’attentat. Les appels à l’« unité nationale » et à des « marches républicaines » se sont multipliées dans un esprit cocardier des plus douteux. À Avignon sur la place de l’Horloge on a entonné la Marseillaise et visiblement on ne s’est pas offusqué, ou mollement, de la présence manifeste au rassemblement d’identitaires arborant drapeaux et brassard tricolore ainsi que t-shirt à tête de cochon (à 0:43 dans la vidéo). Nul doute que ces derniers ont en tête une idée très précise de qui est suceptible d’avoir un « sang impur ».

facho charlie hebdo avignon 7-01-15

Cliquez pour agrandir l’image.

Mais par cette attaque, les islamistes visent certainement en premier lieu la population française d’origines maghrébine et africaine. Ils tentent de l’acculer dans une position intenable pour l’amener à choisir entre la peste et le choléra. Soit elle rase les murs et soutient une République qui lui crache à la figure depuis trop longtemps et continuera de le faire, soit elle se soumet aux réactionnaires intégristes qui prétendent la protéger et lui rendre sa fierté. Dans les deux cas il n’est plus question d’aucune liberté. À l’heure où nous écrivons ces lignes une mosquée a été visée par plusieurs grenades d’exercice au Mans, un restaurant où se retrouvait habituellement des membres de la communauté musulmane à Villefranche a été ciblé par une attaque à la bombe et à Poitiers une mosquée a été taguée.

Unissons nous contre la haine !

C’est donc avant tout contre la division que tous, nous devons lutter. Si nous déplorons la mort des journalistes et dessinateurs du journal satirique, il faut maintenant se méfier d’une position laïcarde perméable à la xénophobie qu’il est d’autant plus facile d’adopter quand on est Blanc. Si l’anti-sionisme de façade d’un Dieudonné a été dénoncé à juste titre comme une manière de camoufler son véritable anti-sémitisme, il est urgent de regarder les choses en face ici aussi. Depuis un bon moment maintenant la laïcité (qu’il faut réellement défendre à tout prix !), est utilisée par le pouvoir pour instaurer un climat raciste. Et cela ce fait avec la complicité de la gauche qui semble perdue entre le combat contre l’« opium du peuple » et le combat pour les opprimés.
Il est donc primordial de s’unir dans un respect mutuel des différences pour ne pas laisser la place à la peur et à la haine de l’autre. Les musulmans n’ont pas à s’excuser d’un acte qu’ils n’ont pas commis et la liberté d’expression doit vivre plus que jamais !

M.

EDIT 1 : Nouvel attentat contre une mosquée : http://www.midilibre.fr/2015/01/08/aude-des-coups-de-feu-tires-sur-une-salle-de-priere-a-port-la-nouvelle,1107708.php
EDIT 2 : deux réactions intéressantes l’une de Yannis Youlountas et l’autre de Julien Salingue sur la Horde : http://lahorde.samizdat.net/2015/01/08/reactions-antifascistes-a-lattentat-contre-charlie-hebdo/

Ukraine : impérialisme, nationalisme et fantômes des années 40. (2/2)

Dans notre première partie (voir Spasme ! #6) nous revenions sur l’histoire de l’Ukraine au cours du XXème siècle et notamment ses relations avec la Russie. La crise que connaît cette zone du monde est relativement compliquée à comprendre vue de France. Nos discussions avec Katia, jeune Ukrainienne vivant en France depuis plusieurs années, croisées avec les différents témoignages qui nous sont parvenus sur Internet de la place Maïdan à Kiev ainsi que de l’Est du pays nous aident à essayer d’avoir une vision globale de la situation. Dans ce contexte proche de la guerre civile où les nationalismes ukrainien et russe sont exacerbés, il est inutile de chercher le camp des bons et celui des méchants. En revanche on notera que les première victimes, comme bien souvent sont la population et en particulier les minorités.

Le début du soulèvement

Viktor Ianoukovytch, aujourd’hui destitué, était Président de l’Ukraine depuis 2010. Membre du Parti des Régions qui s’affiche pro-russe et remporte habituellement plus de succès à l’Est du pays, il chercha cependant à se rapprocher de l’Union Européenne dès le début de son mandat.
Dans un même temps il a cherché a se débarrasser de son opposante, la Premier Ministre Ioulia Timochenko. Il parvint finalement en 2011 à la faire emprisonner pour des faits de corruption, ce qui a fait grand bruit en Europe de l’Ouest qui soutenait Timochenko.

Si les méthodes de Ianoukovytch prirent une tournure autoritaire, il est bon de ne pas tomber pour autant dans le piège de la propagande pro-Timochenko que les médias occidentaux  nous ont servie à l’époque. En observant sa biographie on constatera qu’à la fin des années 90, Timochenko a bâti une fortune de plusieurs milliards de dollars en faisant des affaires de façon louche avec le gazier russe Gazprom.
Néanmoins, L’UE soutenant Timochenko, l’une des conditions préalables à tout partenariat était sa libération ainsi que celle de ses alliés.
La Russie de son côté ne voyait pas d’un bon œil le rapprochement possible entre l’Ukraine et l’Europe, elle alterna donc menaces économiques envers Kiev et propositions de tarifs préférentiels sur le gaz.

Le 21 novembre 2013, le pouvoir ukrainien refusait finalement l’extradition en Allemagne de Timochenko pour raison de santé et annonçait son rapprochement avec la Russie. S’ensuivirent alors les premières manifestations. Menées par les partis d’opposition pro-Europe qui soutiennent Timochenko, le mouvement a rapidement pris une autre tournure face à la répression exercée par le pouvoir.

Durcissement du mouvement et virage nationaliste.

Le 30 novembre 2013, la police anti-émeute délogeait les manifestants qui occupaient la place Maïdan au centre de Kiev. La violence des forces de l’ordre a provoqué un durcissement du mouvement et les mots d’ordre pro-Europe ont été supplantés par un ras-le-bol de la corruption généralisée au sein de la classe politique du pays, mais aussi par un sentiment nationaliste fort en réaction à la pression du voisin Russe.

Svoboda (“Liberté” en ukrainien, anciennement Parti Social-Nationaliste d’Ukraine, retournez le nom et vos doutes s’estomperont…), le principal parti d’extrême-droite ukrainien, s’est donc offert une visibilité de plus en plus importante au sein des manifestations au point que son leader Oleh Tyahnybok faisait partie du trio d’opposants que l’on a souvent vu dans la presse avec Vitali Klichtko et Arseni Iatseniouk (tout deux classés comme de droite libérale). Il suffit de voir les nombreuses photos des manifestations pour voir parmi les quelques drapeaux Européens des premiers temps de très nombreux drapeaux ukrainiens ainsi que ceux de ce parti. Nous pouvions remarquer également beaucoup de drapeaux rouge et noir qui dans un premier temps ont pu créer de faux espoirs chez les militants anarchistes occidentaux. En effet, si les couleurs sont les mêmes que celles de l’étendard anarcho-syndicaliste, leur disposition horizontale au lieu de diagonale renvoie aux organisations d’extrême-droite les plus radicales telle que le sinistre Pravy Sektor (Secteur Droit). C’est notamment elles qui organisèrent avec Svoboda, durant les manifestations de Maïdan, une marche en hommage à Stepan Bandera, leader nationaliste ukrainien  ayant collaboré de manière opportuniste avec les nazis face à l’URSS durant la Seconde Guerre Mondiale (voir Spasme ! #6).

Cependant, d’après Katia la majorité des manifestants n’étaient pas des néo-nazis. Plusieurs témoignages viennent confirmer qu’ils n’étaient pas les plus nombreux mais font en revanche partie des plus actifs dans les affrontements avec la police. Élément encore plus étonnant (la prudence est de mise), des manifestants juifs1 ont quant à eux déclaré dans des interviews ne pas se sentir plus menacés que ça par les néo-nazis.
Bien qu’on puisse entendre que les manifestants étaient loin d’être tous des néo-nazis (contrairement à ce que prétend Poutine), nous remarquerons qu’il semblait y avoir de manière générale un très fort sentiment nationaliste et une grande tolérance envers l’extrême-droite dans les rassemblements de la place Maïdan.

Nazis VS URSS : idéologie, mais aussi surtout des symboles ?

Comme nous l’observions dans notre numéro précédent, les relations entre l’Ukraine et la Russie durant le XXème siècle furent pour le moins houleuses. Malgré la Révolution de 1917 et la volonté d’indépendance de l’Ukraine, les bolcheviques, qui prirent la tête de la Russie, ont continué à considérer leur voisin comme une sorte de vassal, s’en servant comme une zone tampon lors des deux guerres mondiales ou en la privant de ses maigres récoltes en 1933 (ce qui causa entre 2 et 5 millions de morts).
Si longtemps en Europe de l’Ouest le communisme façon URSS a été un idéal pour beaucoup de gens préférant garder des œillères, les pays y ayant goûté ont vite compris ce qu’était l’impérialisme soviétique.
C’est donc presque mécaniquement qu’un sentiment anti-bolchévique et anti-Russie s’est créé chez une part de la population et donna notamment naissance a un parti comme l’OUN-B de Stepan Bandera qui collabora avec les nazis avant d’en subir les attaques. Notons qu’encore à l’heure actuelle le Parti Communiste Ukrainien est pro-russe et a soutenu Ianoukovytch dans sa répression à l’égard des manifestants.

Manifestants affrontant la police sur la place Maidan à Kiev, avec parmi eux des néo-nazis. (photo SERGEI SUPINSKY/AFP)

Manifestants affrontant la police sur la place Maidan à Kiev, avec parmi eux des néo-nazis. (photo SERGEI SUPINSKY/AFP)

Prendre conscience de tout ce contexte historique nous laisse donc penser que de part et d’autre l’imagerie utilisée par les belligérants n’a pas toujours une signification strictement idéologique, mais parfois plus symbolique.
En effet, chez nous le régime nazi apparaît comme l’occupant et l’instigateur du massacre de millions de personnes dans les camps. L’URSS est quant à elle vu comme une alliée, certes un peu gênante à cause de Staline, mais alliée quand même. Bien qu’ils s’agissent de deux régimes ayant causé des millions de morts le communisme autoritaire semble donc souffrir d’une moins mauvaise image, alors que le nazisme représente l’horreur absolue. En Ukraine, principalement à l’ouest, le repoussoir ultime serait plutôt le bolchévisme. L’Allemagne nazie semble considérée par certains (Svoboda, Pravy Sektor) comme libératrice puisqu’en 1941 elle faisait reculer les soviétiques huit ans après la famine causée par Staline. Nous serions donc tentés de penser que la tolérance des manifestants auprès de néo-nazis avérés est le fruit d’un sentiment « anti-bolchévique » commun, qui signifie dans le contexte local une opposition à la main mise de la Russie sur l’Ukraine. Signalons au passage que l’antisémitisme, qui suscite chez nous de vives émotions, semble malheureusement relativement commun là-bas, le camp important peu.

Pro-russes manifestants à Donetsk (Ukraine de l’Est) contre le gouvernement de Kiev formé suite au départ de Ianoukovytch, avec parmi eux des nostalgiques de Staline. (photo SERGEI SUPINSKY/AFP)

Pro-russes manifestants à Donetsk (Ukraine de l’Est) contre le gouvernement de Kiev formé suite au départ de Ianoukovytch, avec parmi eux des nostalgiques de Staline. (photo SERGEI SUPINSKY/AFP)

Dans le sens inverse, suite à la chute de Ianoukovytch, Poutine envahissait de manière à peine dissimulée la Crimée. On a pu voir à ce moment-là des images de manifestants russes soutenant son action en brandissant des drapeaux de l’URSS et des effigies de Staline. Nous comprenons bien ici qu’il s’agit de défendre plutôt l’idée de Grande Russie que de solidarité entre les peuples. N’en déplaise à ceux qui par chez nous se sentent subversifs en voyant Poutine comme un rempart à l’impérialisme nord-américain (que nous n’irons pas nier), c’est ici une image claire d’un impérialisme russe qu’il nous est donné de voir. Ironie de la chose et comme pour nous prouver que cette imagerie communiste était creuse, on apprenait après l’annexion de la Crimée que le Président russe souhaitait y créer un « Las Vegas russe »2 !
Autre élément intéressant dans la communication russe, c’est cette position de pourfendeur du fascisme que s’est donné Poutine. Il est assez savoureux de voir cela quand on connaît les propos qu’il peut tenir sur les homosexuels ou les Tchétchènes ou quand on sait que les néo-nazis russes se livrent depuis longtemps à des manifestations, des ratonnades et des traques de clandestins, de Juifs ou d’homosexuels sans être trop inquiétés.

Une issue difficile à entrevoir

Bien que la plupart des médias occidentaux aient fait mine de pas le voir, les néo-nazis ukrainiens se sont offert une belle visibilité dans les manifestations. Plus grave encore le gouvernement désigné par le parlement ukrainien en février compte sur ses 21 membres 5 ministres issus de Svoboda. Là encore très peu de réaction de la part de l’Union Européenne et des USA, à croire que toutes les alliances sont acceptables pour contrer Poutine. Si le très faible score (1,16 %, dixième position) de Svoboda à l’élection présidentielle de juin relativise la légitimité de ce parti la vigilance est de mise. Rappelons qu’à l’heure actuelle des combats ont lieu entre milice pro-russe et milice pro-ukrainienne ou militaires ukrainiens. Des membres de la famille de Katia qui vivaient près d’Odessa ont préféré partir vers l’Ouest tant la ville devenait dangereuse. De la même manière des médias israéliens francophones rapportent que des familles juives de l’Est de l’Ukraine migrent en Israël tant l’avenir leur paraît incertain.
Enfin, il est désolant de constater que le nouveau président, Petro Porochenko, est une fois de plus un de ces oligarques corrompus. En février nous avions pu découvrir la demeure de Ianoukovytch digne de Tony Montana, à quoi ressemblera celle de ce milliardaire issu de l’industrie du chocolat ?

par M.

1 : http://www.lemonde.fr/europe/article/2014/02/03/ukraine-itineraire-d-une-radicalisation_4358677_3214.html
2 : http://www.francetvinfo.fr/monde/europe/manifestations-en-ukraine/crimee/poutine-veut-faire-de-la-crimee-un-nouveau-las-vegas_582383.html

Ukraine : quelques clés pour commencer à comprendre l’incompréhensible (vu de chez nous). (1/2)

Nous allons dans cette première partie nous pencher sur l’histoire de l’Ukraine au cours du XXème siècle, pour essayer d’en dégager des pistes d’analyse concernant la situation actuelle que traverse le pays. Dans une deuxième partie (prochain numéro) nous tenterons de récapituler quelles sont les causes de la crise actuelle et quels en sont les acteurs. En plus des recherches que nous avons faites, nous avons pu rencontrer Katia, Ukrainienne d’environ 25 ans vivant en France qui a pu nous éclairer sur certains points.

carte europe_ukraine

C’est bien simple, sans quelques infos complémentaires sur l’Ukraine, les événements qui se déroulent là-bas ne sont pas évidents à comprendre. Entre les médias occidentaux qui soutiennent à fond les opposants ukrainiens face à la Russie, et ceux qui se croient libres penseurs et anti-impérialistes en répétant sur le net la propagande de Poutine, on est servi… D’un côté ils font semblant de ne pas voir la forte proportion de militants d’extrême-droite parmi les manifestants de Maïdan, de l’autre ils arrivent à ne pas tiquer quand Poutine annexe la Crimée sous-prétexte d’antifascisme !
Pour y voir plus clair, le mieux est peut-être de se replonger un peu dans l’Histoire de la région. D’ailleurs, Katia nous le dit : « Nous les Ukrainiens, nous connaissons très mal l’Histoire de notre pays ». C’est que jusqu’à la chute de l’URSS ils ont eu droit à une histoire « soviétisée ». Ensuite quand le pays est devenu indépendant, les nouveaux dirigeants ont quant à eux flatté le nationalisme, érigeant parfois en héros des personnages peu recommandable…

Pour commencer, il faut revenir à l’époque de l’ancêtre de l’Ukraine, la Rus’ de Kiev. Elle fut un empire (dont les frontières sont un peu différentes du pays aujourd’hui) qui a duré près de quatre siècles entre la fin du IXème siècle et le milieu du XIIIème siècle. Mais elle finira par s’effondrer et après cette période, la région a constamment été sous domination étrangère (mongole, lituano-polonaise, russe, allemande…). Ce n’est qu’au début du XXème siècle que le pays fut très brièvement « indépendant », de 1917 à 1920. Indépendant est à mettre entre de gros guillemets car il fut le théâtre de nombreux combats au sein desquels les ingérences de ses voisins sont nombreuses.

Simon Petlioura

Simon Petlioura

En février 1917, la révolution éclate en Russie et renverse le pouvoir tsariste dont l’empire comprenait l’Ukraine. Un parlement ukrainien (la Rada) se constitue alors à Kiev. Il vote l’autonomie du pays puis son indépendance. Cependant, les bolcheviques, qui viennent de prendre le contrôle de la révolution russe en octobre, ne l’entendent pas de cette oreille et commencent à envoyer des troupes en Ukraine. Les troupes bolcheviques affronteront celles de Simon Petlioura, chef militaire nationaliste ukrainien. Il s’opposera également aux armées blanches, armées contre-révolutionnaires prônant un retour à un pouvoir autocratique (en l’occurrence celui de l’amiral Koltchak) qui rétablirait l’Empire Russe. Simon Petlioura fait partie de ces héros de l’Ukraine actuelle, mentionnés plus haut. Son rôle dans les pogroms qui eurent lieu en Ukraine et qui tuèrent entre 30 000 et 120 000 Juifs est aujourd’hui controversé. Les historiens semblent d’accord pour dire que Petlioura n’était pas un antisémite, mais plusieurs l’accusent de n’avoir rien fait pour les empêcher. Il aurait vraisemblablement souhaité ne pas se couper du soutien des chauvins. Il mourra à Paris (où il vivait en exil) en 1926, assassiné par un anarchiste juif ukrainien l’accusant de ces pogroms.

Nestor Makhno

Nestor Makhno

Autre héros ukrainien de cette période, bien que plus difficile à s’attribuer pour l’État, Nestor Makhno. Ce paysan anarchiste de l’Est de l’Ukraine va s’allier dans un premier temps aux Bolcheviques. Initiateur d’un important mouvement paysan, il constitue une armée afin de repousser les Blancs ainsi que les nationalistes ukrainiens qui selon lui ne changeront rien aux conditions de vie difficiles qu’endure la paysannerie et dont le chauvinisme va à l’encontre de la révolution. Il reste cependant méfiant à l’égard des Bolcheviques qui n’aiment pas les anarchistes qu’ils jugent trop incontrôlables et qui souhaitent tout centraliser à Moscou. L’alliance de ces deux factions se brisera lorsque Lénine signera avec l’Allemagne (soutien des Blancs) le traité de Brest-Livotsk en mars 1918. Ce traité sortira la Russie de la première Guerre Mondiale en échange d’une part importante de l’Ukraine donnée à l’Allemagne. Les paysans révolutionnaires ukrainiens seront ainsi livrés à la vengeance des Blancs et des propriétaires terriens qu’ils avaient expropriés en 1917 et 1918. Par la suite son mouvement s’alliera de nouveau sporadiquement avec les Bolcheviques. Ces derniers feront en sorte de l’envoyer dans les combats les plus risqués et ne tiendront pas toujours leurs engagements en matière d’armement. Ils finiront par tendre un guet-apens aux makhnovistes en Crimée en 1920. Blessé, Makhno s’exile lui aussi à Paris en 1925. Il survivra en travaillant comme ouvrier chez Renault et mourra de maladie en 1934. Son mouvement a lui aussi souffert d’accusations de pogroms. Makhno s’en est toujours défendu et affirme que toute action de ce genre était punie de mort au sein de la makhnovtchina. Pour son opposition aux Blancs et aux Rouges il est encore apprécié en Ukraine, même par certains nationalistes qui oublient son engagement pour le communisme-libertaire.
En août 1918, malgré la défaite allemande, les conflits entre les différents groupes continuent en Ukraine. C’est finalement en 1920 que l’Armée Rouge reprendra le contrôle du pays (laissant une partie ouest à la Pologne) lui faisant retrouver son rôle de grenier de la Russie qui datait de l’époque tsariste…

La période stalinienne de l’URSS qui vient ensuite, apporte elle aussi des explications quant à l’opposition actuelle entre pro-russes et nationalistes ukrainiens. Le dictateur soviétique voit d’un très mauvaise œil la pratique de la langue ukrainienne qui pour lui menace l’intégrité de l’URSS. Le régime communiste considère par ailleurs volontiers la paysannerie (majoritaire en Ukraine) comme une population arriérée par rapport aux ouvriers des villes et la soupçonne de contre-révolution. Ceci aboutira à plusieurs famines entre 1931 et 1933 dues à la réquisition excessive des récoltes du pays et causant entre 2,5 et 5 millions de morts. Cette période est nommée Holodomor (« extermination par la faim » en ukrainien). Il faut cependant rester très prudent lorsqu’elle est évoquée car elle est un instrument de choix pour l’extrême-droite ukrainienne actuelle.

Cadavres jonchant les rue de Kharkiv en 1933.

Cadavres jonchant les rue de Kharkiv en 1933.

Arrive ensuite la seconde Guerre Mondiale. Le pacte germano-soviétique est signé en 1939 et comporte une clause stipulant le partage des zones tampons entre le IIIème Reich et l’URSS. Cette dernière s’attribuera donc la partie ouest restante de l’Ukraine (ainsi que l’Estonie, la Lituanie, la Moldavie, la Biélorussie et un morceau de la Finlande). C’est à cette période que Stepan Bandera entre en jeu. Membre de l’OUN-B (Organisation des Nationalistes Ukrainiens,  le -B signifie une scission ayant précédemment eu lieu), le portrait de cet homme a été brandi à plusieurs reprises sur la place Maïdan. Emprisonné en Pologne pour des attentats financés par les nazis, il est libéré en 1939 quand l’Allemagne conquiert le pays. Il participe alors à la création de la légion ukrainienne composée d’Ukrainiens nationalistes et combattant pour le compte de l’Allemagne nazie.
En 1941, l’Allemagne brise le pacte Germano-Soviétique et s’empare entre autres de l’Ukraine. Bandera voit alors là l’occasion de proclamer l’indépendance de l’Ukraine. Cependant l’Allemagne voit les choses autrement et envoie Stepan Bandera en camp de concentration. L’OUN-B continuera  quant à elle sa collaboration avec Hitler jusqu’en 1942 où elle sera réprimée, deux nationalismes pouvant difficilement cohabiter au sein du Reich. L’Allemagne libère cependant Bandera en 1944 pensant pouvoir l’utiliser pour combattre l’Armée Rouge qui regagne du terrain. Lui ne préférera pas s’allier de nouveau avec les nazis sentant la fin du IIIème Reich proche. L’URSS récupérera finalement l’Ukraine et arrivera jusqu’en Allemagne qui capitule en 1945.
Après guerre, l’OUN-B continue ses activités contre le régime soviétique principalement au sein de la diaspora ukrainienne. En 1959, Stepan Bandera est empoisonné par un agent du KGB à Munich.

Au centre, Stepan Bandera en uniforme allemand

Au centre, Stepan Bandera en uniforme allemand

Signalons au passage que suite à la collaboration avec les nazis de certains Tatars de Crimée, Staline décida en 1944 de punir collectivement cette ethnie en déportant près de 200 000 individus en Asie Centrale. La République Populaire de Crimée deviendra par ailleurs une région russe. Pas pour longtemps néanmoins, car Khrouchtchev qui succède à Staline  restitue cette région à l’Ukraine en 1954.
Les Tatars seront quant à eux blanchis de l’accusation  de collaboration avec les nazis en 1967. Rien ne sera fait pour autant en réparation de la déportation. Ils reviendront massivement en Crimée en 1989 alors que l’URSS s’apprête à s’effondrer.
Ce peuple s’est montré très inquiet quant à l’annexion de la Crimée par Poutine.

Le portrait de Bandera encadré de deux drapeaux du parti d’extrême-droite Svoboda. La photo a été prise durant l’occupation par les manifestants de la mairie de Kiev entre novembre 2013 et février 2014.

Le portrait de Bandera encadré de deux drapeaux du parti d’extrême-droite Svoboda. La photo a été prise durant l’occupation par les manifestants de la mairie de Kiev entre novembre 2013 et février 2014.

Il serait précipité de ramener le conflit actuel entre la Russie et l’Ukraine à une simple  reproduction des conflits passés, cependant ce rapide survol de l’Histoire ukrainienne peut fournir des débuts de réponses à nos interrogations. L’impérialisme russe, qu’il ait été tsariste ou soviétique, s’est exercé d’une manière si brutale que la réaction nationaliste ukrainienne n’a pu que se durcir elle aussi. Face à la pression russe il est donc logique qu’un sentiment nationaliste se réveille. Malgré tout, si un parti d’extrême-droite comme Svoboda ne fait pas  l’unanimité comme nous le rappelle Katia, son omniprésence sur la place Maïdan est inquiétante.

par M.

René Binamé : l’intervew

Pour ceux qui ne connaissent pas les René Binamé, il s’agit d’un groupe difficile à classer musicalement. On les range dans le punk, mais à l’écoute on comprend bien que s’ils ont l’état d’esprit punk, ils s’éloignent cependant volontiers de ce style musical. Chaque album est différent, tantôt avec des chansons amusantes et un synthé, tantôt avec des chants révolutionnaires, tantôt en flamand, tantôt en wallon, tantôt en français, bref leurs expériences musicales sont multiples. Atteignant bientôt 30 ans d’existence, ils sont l’un des plus anciens groupes de la scène punk encore en activité. Ça faisait un moment qu’on attendait de pouvoir les voir en concert avec Koma, ce qui a finalement eu lieu pas loin de Montpellier en juin dernier. L’occasion d’interviewer ce groupe emblématique devenait alors trop belle, nous l’avons donc saisie !
Résultat : une entretien durant lequel Binam’ (chant/batterie) revient sur le parcours du groupe, nous parle d’Étienne Roda-Gil et fait se croiser le situationniste Raoul Vaneigem et le chanteur de variété Mort Schuman.

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M : Je vous écoute depuis que je suis ado. Vous avez commencé en 86, avant ma naissance et vous êtes un des seuls groupes que je connaisse qui ne se soit jamais arrêté. Comment voyez-vous cette continuité ?

Binam’ : Elle est là parce qu’elle est là. C’est pas un but, c’est pas une performance, c’est comme ça.
Il y a beaucoup de raisons d’arrêter un groupe. Parce que tu ne t’entends plus avec les gens avec qui tu le fais, parce que tu t’entends toujours avec eux, mais tu n’as plus envie de continuer, parce que tu es arrivé au bout de ce que tu avais envie de faire, parce que tu as envie de faire autre chose. Donc faire un groupe qui dure longtemps ça n’est pas mieux que faire un groupe qui dure pas longtemps. Il n’y a pas de record, c’est comme ça.
Titi : Tant qu’il y a l’énergie pour le faire, pourquoi ne pas le faire.
B : Tirer un groupe en longueur je crois que c’est affreux et je ne pense pas qu’on ait fait ça à un moment ou l’autre. Si ça a duré longtemps c’est parce qu’il y a du plaisir… Bon, il y a du relais c’est pas les mêmes gens qui jouent depuis vingt ans.

M : Qui est resté du groupe d’origine ?

B : Alors d’origine il n’y a que moi. En 95 arrive R-man et il est toujours dans le groupe. Ça fait quand même une grosse période ensemble. Smerf arrive pas longtemps après donc il y a une continuité1.

M : Il y a des changements de style au fil de votre parcours. Il y a eu une époque avec synthé notamment. Tout cela est assez atypique pour un groupe.

B : Dans ma tête, dans la tête des gens qui ont joué dans le groupe, on ne vise pas un style musical. Donc on ne change pas de style musical au sens où on se dirait : « Tiens, on faisait du ska, maintenant on va faire du punk ». Si le style musical change c’est parce que l’humeur est différente d’un jour à l’autre donc je ne le vois pas comme ça.
T : C’est une évolution au fil du temps.

M : Mais dans la pratique il y a peu de groupes qui varient autant.

T :  Peut-être parce que c’est des groupes qui vendent. Et puis c’est des styles qui marchent, donc ils se disent faut pas qu’on casse notre style sinon ça va moins bien marcher.
B : Moi je crois pas qu’il y a peu de groupes qui ne changent pas. Je crois qu’il y a beaucoup de groupes qui visent un style et qui restent bloqués dedans. Ça c’est vrai. Mais à côté de ces groupes-là il y a beaucoup de groupes qui se permettent de vivre en liberté avec leur musique et qui ne sont pas inquiets quand ils sont infidèles à une ligne musicale qu’ils n’ont jamais choisie. Je crois que ça n’est pas si rare que ça, mais le contraire est fréquent et il prend beaucoup de place.

M : J’ai lu dans une interview du fanzine Niaproun2, que vous aviez testé la techno parce que tout le monde disait que c’était nul, que vous avez fait des trucs politiques parce qu’on vous prenait pour des rigolos, et qu’après les chansons politiques vous avez refait des morceaux rigolos. Est-ce que vous cherchez à être inattendu, à surprendre votre public ?

B : Les deux exemples que tu as donné, ça l’a été. Mais cela concerne notre microcosme belge où durant une période on était considérés par les gens qui nous entouraient comme un groupe rigolo. Donc on a mis en avant notre volonté de faire des morceaux qui avaient un message, qui disaient quelque chose et on a mis de côté notre humour parce qu’il prenait trop de place. Et puis à un moment on a fait le contraire, mais ça concerne notre microcosme belgo-belge. Quand on a été un peu plus loin on a été libérés de ça. Quand on a été jouer en Suisse ou en France on a été débarrassés de notre background de clowns du début.

M : Donc ça veut quand même dire que lorsque vous sentez qu’on vous colle une certaine image vous avez envie d’en sortir…

B : Pas que, mais oui.

M : Vous ne voulez pas rester dans une case qu’on vous attribuerait.

B : Et qu’on s’attribuerait, nous-même d’ailleurs !

M : Votre album 71-86-21-36 est le plus connu. Est-ce que ça ne vous agace pas un peu parfois ?

B : Des fois, pas toujours. Que ça nous ait agacés c’est peut-être un grand mot, mais la réponse à cet agacement c’est Kestufé Du Wéék-End ? Justement, c’est un album où il n’y a pas de reprise, où il y a des morceaux qu’on avait écrits nous-même. On faisait nos morceaux anti-capitalistes et anti-économistes, c’est comme ça qu’on l’avait dit, et nos morceaux plus absurdes.
Mais 71-86-21-36, pourquoi il existe ? Dans le parcours de vie des gens du groupe à ce moment-là, il y a des morceaux qu’on entendait et qui nous semblaient importants. Et puis au bout d’un moment on a eu envie de les transmettre par la suite, c’est ce qu’on a fait. Il a un rôle, une utilité concrète, il sert à quelque chose ce disque. C’est pour ça qu’il a été fait, pour que ces morceaux continuent à vivre.

M : Alors justement, on se rapproche du sujet de l’anarchisme, Koma avait une question.
Koma : Vous avez joué à Saint-Imier3, ça a dû être un moment fort j’imagine ? Comment vous l’avez vécu ? Quelle place a ce concert dans votre parcours ?

B : Quelle place dans le parcours, je ne sais pas trop. Je vais te dire comment je l’ai vécu. La première chose que j’ai appréciée dans le fait d’y avoir joué, c’est d’y être et ce que j’ai apprécié dans le fait d’y être c’est de voir comment ça s’est passé. Ce que j’ai aimé c’est la rencontre avec toutes une série de manières d’appréhender l’activisme anarchiste. Il y a des gens qui ont des points de vue extrêmement différents : il y a des gens qui visent une espèce de transmission de la culture anarchiste, il y en a qui visent autre chose qui concerne plus la vie de tous les jours avec le prix libre, le veganisme et d’autres choses comme ça. Ces manières de voir les choses se sont opposées pendant ces quelques jours. Mais je crois qu’en se rencontrant, elles sont entrées en débat.

K : Ça c’est frité un peu je crois…

B : Oui mais ce fritage il était vraiment intéressant. Il y a eu une action des vegans sur le barbecue à L’Espace Noir4, il y a eu une revendication du prix libre à l’entrée du concert de René Binamé, des choses comme ça. Mais tout ça, ça fait des débats qui ont ouvert des questions. Il y a des gens qui se sont vus assaillis par d’autres qui voulaient le prix libre. Je crois que ce débat n’était pas inutile donc je pense que cette rencontre internationale des anarchismes de toutes sortes, elle a fait se rencontrer des gens qui ne se connaissaient pas. Je crois qu’elle était bien intéressante pour ça. Ils se sont bien engueulés, hein !  Mais en s’engueulant ils se sont mis à discuter.

T : Faut voir comment ça se passera la prochaine fois !

B : Mais les rencontres qu’il y a eu c’est impressionnant, les cuisines collectives qui venaient d’un peu partout. Franchement c’était bien et les engueulades étaient nécessaires et constructives, je crois !

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M : D’ailleurs c’est amusant que ce rassemblement ait eu lieu en Suisse, un pays qu’on ne considère pas forcément comme très « anarchiste ».

B : On discute parfois dans la camionnette de choses et d’autres et on discutait tantôt de la définition du mot punk… Mais le mot anarchiste c’est impressionnant le nombre de définitions qu’il a lui aussi, le nombre de personnes qui peuvent avoir des styles de vie et d’interprétations du monde différents et qui se considèrent les uns et les autres comme anarchistes… Quand ils sont capables de voir qu’on peut se considérer anarchiste de manière différente, c’est intéressant, mais certains peuvent être étonnés de voir quelqu’un qui vit différemment et qui dit : « Je suis anarchiste ! Toi aussi ? Tiens c’est bizarre ! Pourquoi tu me laisses pas entrer au concert sans payer ? »

M : Je reviens à 71-86-21-36. Sur cet album vous reprenez La Makhnovtchina, en ce moment la crise ukrainienne continue et on a vu que des nationalistes reprenaient l’image de Makhno. L’avez-vous vu, et si oui comment le comprenez vous ? Avez-vous une idée là-dessus ?

B : Non, je n’ai pas vu, mais je me doute que c’est possible. Le problème c’est que Makhno est mort trop tôt. Il est mort pitoyablement à Paris5 et il n’a pas pu transmettre ce qu’il avait fait.

M : À propos de cette chanson vous l’attribuez sur la pochette du disque à un certain Atourof, pourtant j’ai lu qu’elle est d’Étienne Roda-Gil. Cela m’a étonné vu qu’il était aussi le parolier de Julien Clerc, Johnny ou encore Claude François…

Gredin : Oui, mais c’était le président d’honneur de la CNT…

B : Et de la SACEM… (rires)

M : C’est compatible ça ?

B : Ben, en tant qu’artisan-auteur, c’est pas forcément si incompatible que ça. Ça dépend de quel angle tu le vois.

G : Il travaille quoi.

B : C’est un syndicat la SACEM…

M : En attendant c’est amusant de voir le contraste entre Julien Clerc ou Claude François et la Makhnovtchina.

B : D’après Étienne Roda-Gil, Le Lac Majeur par Mort Schuman (qui chantait Papa Tango Charlie), est un morceau qui lui a été inspiré par un épisode de la vie de Michel Bakounine. C’est écrit comme ça sur les notes intérieures d’une pochette de disque. C’est le feu d’artifice que Bakounine a fait sur le Lac Majeur à la fin de sa vie.

[Binam’ revient ici sur le fait qu’ils n’ont pas crédité Étienne Roda-Gil pour La Makhnovtchina.]
Concernant Étienne Roda-Gil, il y a ce morceau-là [La Makhnovtchina] sur Pour en finir avec le travail. C’est un disque qui a été fait en 1970 par Jacques Leglou et d’autres, des gens proches des situs et qui avaient envie de faire un disque populaire, révolutionnaire, patati patata… Du coup, sur ce disque il y a La vie s’écoule, la vie s’enfuit de Raoul Vaneigem, La rue des bons enfants de Guy Debord et d’autres chansons, mais elles sont attribuées à d’autres gens. La rue des bons enfants est attribué à Raymond la Science de la bande à Bonnot, par exemple. Et puis ces histoires-là ont été répétées pendant des années parce que cette pochette de disque avait l’air sérieuse. Quand on a repris le morceau on y a cru. On a su que c’était faux lorsque que le disque a été réédité en 2000 et que ceux qui l’ont réédité ont rétabli les vrais noms… Ou ont inventé d’autres canulars !

K : Je voulais savoir si Raoul Vaneigem6 ne vous avait pas trop fait chier pour les droits de la chanson La vie s’écoule ?

B : Non, mais on s’est posé la question avant ! (Rires) Non, on ne s’est pas posé la question pour lui, mais on s’est posé la question pour d’autres, lui on s’est dit : « C’est pas possible !»

K : Et comment est venu le fait que vous repreniez cette chanson ? Même si ça paraît logique.

B : Comment ce morceau est arrivé jusqu’à nous ? Comme tu dis c’est logique. Comment ça nous est venu… C’est Radio Air Libre, une radio libre bruxelloise, qui passait ce morceau et d’autres en boucle. En fait sur 71-86-21-26, c’est des morceaux qui passaient sur cette radio, qu’on a entendus et  enregistrés pour les partager. Ceci dit La vie s’écoule n’était pas dessus, donc c’est une suite.

K : Oui c’est sur l’album le plus récent, La vie s’écoule en 2011  [71-86-21-36 date de 1996]. Il a eu un traitement spécial celui-là, avec un joli clip aussi ! Il a été bichonné !

B : Oui il a eu un traitement spécial, il a fallu plus de temps. Alors que 71-86-21-36 a été fait de manière extrêmement brouillonne, c’est le disque qu’on a enregistré le plus vite et le plus mal, mais on en est très contents.

M : C’est fou, c’est celui qui a le plus de succès !

B : C’est impressionnant ! On a perdu le disque dur en cours de route donc on a dû récupérer les mixs ratés du début qu’on a mis quand même dans le final. On s’était dit on sort un disque… T’as écrit ça ? Non mais c’est vrai, mais il fallait pas le faire autrement. Il y avait une urgence, il fallait le faire comme ça et puis merde ! C’était notre spontanéité du moment. On l’a pas bien fait, mais on l’a fait !

M : Avant de terminer cette interview j’aurais voulu savoir quels sont vos projets pour le groupe à l’avenir ?

B : Joker ! (rires)

Là-dessus les gens du KJBI nous ont gentiment fait comprendre que ça serait sympa de lever le camp car ils allaient boucler la salle. Ça tombait bien on avait finit. Avec Koma nous avons donc chaleureusement remercié les René Binamé et avons pris nos clics et nos clacs ! Bon courage au KJBI, on espère reparler de vos soirées une prochaine fois ! ■

Par M. et Koma.

1 : La composition du groupe est mouvante suivant la disponibilité de ses membres. Pour ce concert Binam’ était accompagné de Titi et Gredin.
2 : Niaproun : http://www.niaproun.net/.
3 : Du 8 au 12 août 2012 à Saint-Imier, village suisse, s’est déroulée la Rencontre Internationale de l’Anarchisme. Le rassemblement célébrait également les 140 ans de ce courant politique dont la “naissance” avait eu lieu en 1872 dans ce village.
4 : Un des lieux centraux du rassemblement.
5 : Makhno en exil à Paris sera ouvrier un bref moment chez Renault. Affaibli par les blessures subies lors de ses combats en Ukraine il ne pourra plus travailler et mourra peu de temps après.
6 : philosophe de l’Internationale Situationniste, mouvement politique révolutionnaire ayant existé entre 1957 et 1972.

Surveillance de tous les instants : bienvenue dans la société panoptique !

panopticon

Prison Presidio Modela, construite à Cuba entre 1926 et 1928 par le dictateur Gerardo Machado. (photographe inconnu)

Panopticon

Le Panopticon est un modèle de prison créée par l’anglais Jeremy Bentham à la fin du XVIIIème siecle. C’est à partir de plans d’usines qu’il a eu l’idée d’adapter les procédés architecturaux favorisant la surveillance des ouvriers au milieu carcéral. Les cellules sont disposées autour d’une tour centrale abritant un ou plusieurs gardiens. Ce dispositif permet ainsi de réduire leur nombre. Bentham souhaitait également que les surveillants soient dissimulés de sorte qu’ils puissent s’absenter. Il pensait que les détenus ne se risqueraient de toute façon pas à enfreindre le règlement ne pouvant savoir s’ils étaient vus ou non. Les prisonniers devenaient au final leurs propres surveillants.

Société sous surveillance

Si le projet ne connaît pas un grand succès à l’époque de Bentham, des prisons ont été construites sur ce principe depuis. La progression de la «pensée panoptique» est cependant loin de se limiter au monde carcéral et ouvrier et semble devenir aujourd’hui un projet de société. La multiplication dans les rues des caméras de vidéosurveillance («vidéoprotection» en novlangue) en est la preuve. D’ailleurs les caméras dites «dômes» (dans une demi-sphère souvent teintée) reposent pleinement sur le principe panoptique. « La caméra me regarde-t-elle ou non ? »

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Informatique et panoptique

Le développement des technologies de l’information, s’il a permis de grandes avancées, est aussi l’un des éléments essentiels de la société panoptique. L’informatique et Internet sont devenues indispensables pour la plupart d’entre nous, mais cela a un prix. Notre dépendance au réseau des réseaux nous oblige à faire confiance à des États et des entreprises qui n’en sont pas dignes.
Les révélations d’Edward Snowden concernant la surveillance à l’échelle mondiale opérées par la NSA sont essentielles pour que le grand public prenne conscience de ce problème. Pourtant elles jouent également en la faveur des agences de renseignements. Comme nous l’écrivions plus haut, le but de Bentham en dissimulant les gardiens était de créer une sorte de « super-surveillance » fictive, peu coûteuse et sensée supprimer chez les détenus toute tentation de révolte.
Malgré les moyens collossaux dont dispose la NSA (et les agences européennes qui travaillent avec elle), surveiller la totalité d’Internet et en retirer des informations pertinentes est un travail de titan. En revanche, laisser supposer à la population qu’elle est potentiellement espionnée permet de réduire les comportements dissidents et diminue le nombre de menaces sur lesquelles les renseignements doivent se concentrer. Si la NSA pouvait réellement tout voir, nous pourrions nous demander comment un attentat comme celui du Marathon de Boston a pu avoir lieu.

Ne rien lâcher

Un système panoptique repose donc avant tout sur la crainte, c’est-à-dire en grande partie sur du vent !
C’est pourquoi il ne faut pas se laisser aller au fatalisme ou, à l’opposé, à la paranoïa qui est stérile. Dans le dossier qui suit nous vous donnons des exemples d’outils permettant de compliquer la tâche aux différents organismes qui nous surveillent. C’est en adoptant tous les bons comportements que nous pourrons résister à ce modèle de société qui s’affirme de plus en plus.■

par Octobit.

Le sac à vomi : BOY LONDON ou le style « nazhipster »

Le Sac à Vomi, comme son nom l’indique, recueille tout ce que l’on vomit. Entre deux soubresauts un rire peu s’inviter, mais que l’on ne s’y trompe pas : c’est un rire jaune, comme la bile.

Rihanna-Boy-LondonBOY LONDON est une marque née dans les 70’s à Londres en pleine époque punk. Il est alors fréquent de voir de jeunes gens arborer des symboles se rattachant au nazisme par pur esprit de provocation. On se souvient par exemple de Sid Vicious portant un T-shirt avec la croix gammée ou encore du groupe Joy Division dont le nom désignait une partie des camps de concentration où les nazis se livraient à l’exploitation sexuelle des détenues. Cette marque de vêtements avait quant à elle choisi d’utiliser l’aigle nazi et de le percher sur le «O» de «BOY» de sorte qu’il ne manquait que la svastika pour compléter le tout. Si on pouvait déjà trouver douteux ce type d’humour, il s’inscrivait dans un contexte culturel et une époque qui lui donnaient un sens.
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A gauche le logo du parti d’Adolf Hitler, à droite ce même logo détourné par la marque de vêtement.

Aujourd’hui, bien loin de cette contre-culture, la marque a comme égérie la chanteuse pop Rihanna. Cela devient donc assez dérangeant de voir ce type de logo sur les fringues de jeunes crétins qui ne savent parfois même pas quand a eu lieu la Seconde Guerre Mondiale. Vérifiez, vous verrez que si vous les interrogez sur la provenance du logo ils ont tendance à ne pas comprendre tout de suite. En les aidant un peu, vous aurez droit à un «han ouais ! pffff !». Ce qui signifie que vous êtes trop un boloss’ et que vous n’avez décidément pas le swagg… Navrant, mais problématique aussi de voir une marque qui rend «kiffant» un insigne carrément craignos à des jeunes trous du cul ignorants.

par M.